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Il savait d’ailleurs mauvais gré au monarque russe de s’être érigé en défenseur officiel du sénat et des idées libérales; il lui en voulait surtout d’avoir, en plus d’une occasion, soutenu devant lui et en public, avec une insistance importune, la cause des intérêts créés par la révolution ou celle des hommes qui avaient servi l’empire.

Les relations du tsar avec l’ancien chef du gouvernement provisoire avaient au contraire toujours été très bonnes; c’était chez M. de Talleyrand qu’Alexandre était descendu en arrivant à Paris. Il avait adopté ses idées sur la forme de gouvernement qu’il convenait de donner à la France; il n’avait jamais cessé de vanter son habileté; il avait appuyé tant qu’il avait pu et jusqu’au dernier moment ses démarches en faveur de la constitution sénatoriale, à ce point même que l’échec définitif de son hôte était presque devenu le sien. Sur plus d’un point M. de Talleyrand avait depuis, il est vrai, modifié quelque peu sa politique. Très refroidi pour l’alliance russe, qu’il n’avait jamais goûtée beaucoup, même quand il s’en était le plus servi, il inclinait maintenant du côté de l’Angleterre, sans se croire obligé d’en laisser rien voir à l’empereur. Se maintenir dans de bons termes avec Alexandre, exciter à propos sa générosité, le piquer d’honneur dans le sens de nos intérêts, profiter d’une façon naturelle et dégagée de ses bons offices en se dispensant de s’en montrer outre mesure reconnaissant, était un rôle fait exprès pour M. de Talleyrand. Il y réussit, autant du moins que les circonstances le permettaient.

La convention provisoire du 22 avril 1814 avait préjugé de fait le retour de la France à ses anciennes frontières. Grâce toutefois à l’intervention de l’empereur Alexandre, le plus souvent contrecarrée par le mauvais vouloir des ministres des autres puissances, nous obtînmes sur le continent, en dehors des limites de 1792, quelques lambeaux de territoire qui, du côté du nord, sur la Sambre, la Meuse, la Sarre et le Bas-Rhin, amélioraient notre système de défense nationale. L’ancienne république de Mulhouse, la principauté de Montbéliard, Avignon et le Comtat venaissin nous furent également abandonnés. On nous permit aussi, mais avec plus de peine, de garder certains districts du pays de Gex autour de Genève, Chambéry, Annecy et quelques parties de la Savoie. Sur les mers, l’Angleterre, qui s’était emparée de toutes nos colonies, nous rendit la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane française, l’île Bourbon et nos comptoirs des Indes, sous la condition de ne les point fortifier. On était ainsi arrivé à nous composer la moitié seulement de ce million de sujets que, dans un premier mouvement de générosité, on avait tant de fois, mais vaguement, promis d’ajouter au vieux patrimoine des Bourbons. D’autres articles restés secrets stipulaient