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et à se décharger presque entièrement sur lui du soin de se tirer le mieux possible d’une fâcheuse position. Il ne lui déplaisait pas en effet de placer sous le couvert d’un ancien serviteur de la révolution et de l’empire ce qu’il y aurait nécessairement de pénible pour le pays dans les articles d’un traité qui allait porter une si rude atteinte à sa puissance. Pour aider M. de Talleyrand à obtenir des conditions moins défavorables, il aurait fallu que le roi consentît à entrer dans des relations personnelles assidues et bienveillantes avec les souverains étrangers; il ne s’en souciait à aucun degré. Si, au point de vue de l’honneur du pays ou seulement de la bonne politique, Louis XVIII n’avait pas assez ressenti la douleur de ne devoir son retour qu’au triomphe des armées ennemies, en revanche il ne supportait qu’impatiemment l’idée d’être tenu a quelque reconnaissance envers les chefs des dynasties rivales de la sienne. A peine installé aux Tuileries, il ne s’était pas fait faute de leur donner à comprendre, par sa froideur cérémonieuse, par sa réserve calculée, par le soin puéril de prendre le pas sur eux jusque dans sa propre demeure, que le souvenir des services rendus n’effaçait pas à ses yeux la distance qui séparait la maison de Bourbon des autres familles de l’Europe. Peut-être eût-il volontiers accepté une entente familière avec l’héritier des Habsbourg, descendant des anciens ducs de Lorraine et son proche parent par Marie-Antoinette; malheureusement l’empereur François affectait de ne pas se mêler de politique étrangère et de laisser à M. de Metternich le soin des intérêts extérieurs de l’Autriche. Pendant les dernières années de son exil, Louis XVIII avait fait échange de courtoisies avec le régent de l’aristocratique Angleterre, il lui écrivait même encore; mais quel secours efficace attendre de ce prince vain et léger, très impopulaire, très méprisé chez lui, et par cela même sans grand crédit sur les ministres? Le roi de Prusse, échauffé par son état-major et tout plein des rancunes d’Iéna et de Tilsitt, s’effaçait systématiquement derrière Alexandre. Seul l’empereur de Russie tenait à honneur de montrer quelque modération dans la victoire, et se vantait, non sans raison, d’une certaine partialité pour la France. Son influence était prépondérante et sa bonne volonté notoire. Il eût été facile d’en tirer bon parti en flattant quelque peu sa prétention avouée de dominer les conseils des alliés et son goût pour le rôle éclatant de protecteur; mais parmi les souverains au milieu desquels Louis XVIII venait de recouvrer sa place, il n’y en avait aucun devant lequel il lui eût coûté davantage d’abaisser son orgueil. Implorer le patronage d’un Romanov, du descendant d’une famille à peine connue il y a cent ans, semblait dur au petit-fils de tant de rois, possesseurs depuis tant de siècles du premier trône du monde.