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qu’on ne l’avait fait avant lui de mémoire d’homme[1]. N’y avait-il point dans ces accusations d’imposture un peu d’amour-propre national blessé ? Les Anglais n’aiment guère à être battus sur leur propre terrain, et ce qui touche au monde des sports est regardé par eux comme un domaine sur lequel les étrangers ne doivent point mettre le pied. La supériorité de Deerfoot dans les courses à longue distance semblera encore plus significative, si on la rapproche d’un autre fait. Toutes les fois que les chevaux de course anglais, les race-horses, ont lutté de vitesse contre les chevaux arabes, ils l’ont toujours emporté dans les conditions ordinaires, c’est-à-dire dans une arène de deux ou trois milles ; mais reculez les limites du terrain, et il en sera tout autrement. Il y a quelques années, des Anglais, ayant emmené avec eux des chevaux pur sang, se trouvaient dans la province de Nedj, une contrée de l’Arabie centrale ; l’idée leur vint de proposer un défi aux Bédouins, dont les chevaux maigres et osseux ne leur inspiraient point d’abord une grande estime. Les Bédouins acceptèrent, et demandèrent combien de jours durerait la course ; les Anglais, comme on pense bien, se récrièrent. Il fut enfin convenu qu’on réduirait l’épreuve à trois heures ; ce fut encore beaucoup trop pour les chevaux anglais, qui, après avoir pris la tête au départ, se trouvèrent bientôt essoufflés, épuisés, mourans, tandis que les chevaux arabes arrivèrent sains et saufs au but. Je ne veux point faire ici de comparaison injurieuse, mais tous les sportsmen conviennent qu’il existe plus d’un rapport entre le pedestrian et le race-horse. Il résulterait donc des faits connus que la civilisation accroît chez l’homme et chez les animaux la force d’impulsion, mais qu’elle affaiblit chez eux la force de résistance à la fatigue, ce que les Anglais appellent endurance.

Le pédestrianisme est, aux yeux de nos voisins, une science qui embrasse deux ordres d’exercice : la marche et la course. Les défis à la marche (walking matches) ont assez souvent lieu dans les campagnes ; tantôt la lutte s’engage entre plusieurs adversaires, tantôt un seul homme a parie contre le temps ; » cela veut dire qu’il s’oblige à parcourir un certain espace dans un nombre d’heures déterminé. Un de ces marcheurs intrépides qui a laissé un nom dans le monde pédestrien était, il y a quelques années, le capitaine Barclay ; on se souvient encore en Angleterre qu’il parcourut mille milles de suite en mille heures. Il a depuis lors donné son secret au public, et ce secret des plus simples consistait à se lever de bonne

  1. L’Indien n’a point paru à Londres depuis environ deux mois ; il se réserve pour le temps de l’exposition universelle : il espère alors recueillir beaucoup d’argent. En attendant, comme il n’est point d’humeur à laisser pousser l’herbe sous ses mocassins, il court dans les running grounds de la province.