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docteurs en théologie qui sont en même temps de redoutables adversaires sur le terrain de la balle. Ce jeu est d’ailleurs à peu près le seul auquel puisse se mêler un ecclésiastique anglais sans déroger à son caractère. Quand les philosophes du cricket (c’est le nom qu’ils se donnent) parlent d’humaniser et d’harmoniser la population au moyen de la bat, ils me rappellent involontairement le maître de danse et le maître de musique du Bourgeois gentilhomme. Il est si aisé de trouver toute sorte de qualités morales à ce que l’on aime ! Je n’en admets pas moins volontiers que ce jeu peut exercer une heureuse influence sur certains hommes en les détournant de mauvaises habitudes. Comme moyen de diversion, il a été surtout appliqué avec succès dans les maisons d’aliénés.

Les cricketers peuvent se diviser en deux classes, les amateurs et les professionnels. Ces derniers sont naturellement les plus habiles, car ce jeu, — je devrais dire cette science, — réclame une étude et un travail de toutes les heures. Aussi, dans la plupart des parties solennelles qui se jouent sur un grand théâtre, les gentlemen ont-ils soin de s’adjoindre un certain nombre d’auxiliaires choisis parmi les professional players qui font du cricket un état. Ces derniers, quand ils atteignent un certain degré de célébrité, ne manquent jamais d’engagemens, et sont même fort recherchés par les clubs ou les collèges. Le plus habile était, il y a quelques années, le fameux Lillywhite[1], à lui on avait donné le surnom de Sans-pareil. L’une des grandes écoles du royaume, l’école de Rugby, avait été battue depuis quelque temps à tous les défis de cricket, quand on envoya ce professeur y donner des leçons. À son arrivée, il distribua les collégiens dans la plaine, choisit les plus habiles et se mit avec eux vaillamment à l’œuvre. D’abord ils trouvaient la besogne un peu rude ; mais Lillywhite se montra inflexible et résolut de les former à tout prix. La conséquence fut que la première fois qu’ils rencontrèrent leurs anciens vainqueurs, ils prirent une éclatante revanche. Cet exemple a enflammé le zèle des autres académies, et il n’y a plus guère aujourd’hui d’école de premier ordre qui n’ait son professeur de cricket. Tel est en effet un des avantages de la vie universitaire dans toute la Grande-Bretagne, que les jeunes gens n’exercent pas seulement leur intelligence, mais qu’ils acquièrent aussi une supériorité réelle dans tous les exercices virils. Les nominations des professeurs de cricket ont lieu chaque année au printemps et sont annoncées dans les journaux de sport, comme les engagemens des acteurs et des actrices dans les journaux de

  1. Il ne faut point le confondre avec son fils, M. Fred Lillywhite, qui est aujourd’hui une des étoiles du jeu.