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de me tenir rigueur. Il s’informa de moi près de mon domestique, et je sus qu’il se préoccupait de mon état et me surveillait sans en avoir l’air. Chaque journée d’inaction m’épuisait et me démoralisait davantage. Je ne prenais aucun parti décisif, mais il me semblait que ma faiblesse allait s’abattre devant le premier accident qui la ferait broncher.

Très peu de jours après, dans une avenue du bois où je me promenais seul en désespéré, je vis venir une voiture légère menée doucement et parfaitement attelée. Elle contenait deux personnes. Olivier me découvrit à l’instant même où je le reconnus. Il fit arrêter, sauta lestement dans l’allée, me prit par le bras, et, sans dire un mot, me poussa à sa place dans la voiture ; puis, après s’être assis en face de moi, comme s’il se fût agi d’un enlèvement, il dit au cocher : « Continuez. » Je me sentis perdu, et je l’étais en effet, au moins pour quelque temps.

Des deux mois que dura cet inutile égarement, car il dura deux mois tout au plus, je vous dirai seulement l’incident facile à prévoir qui le termina. D’abord j’avais cru oublier Madeleine, parce que, chaque fois que son souvenir me revenait, je lui disais : « Va-t’en ! » comme on dérobe à des yeux respectés la vue de certains tableaux blessans ou honteux. Je ne prononçai pas une seule fois son nom. Je mis entre elle et moi un monde d’obstacles et d’indignités. Olivier put croire un moment que c’était bien fini ; mais la personne avec qui je tâchai de tuer cette mémoire importune ne s’y trompa pas. Un jour j’appris par une étourderie d’Olivier, qui s’observait un peu moins à mesure qu’il se croyait plus sûr de ma raison, j’appris que des nécessités d’affaires rappelaient M. d’Orsel en province, et que tous les habitans de Nièvres allaient bientôt partir pour Ormesson. À la minute même, ma détermination fut prise, et je voulus rompre.

— Je viens vous dire adieu, dis-je en entrant dans un appartement où je ne devais plus remettre les pieds.

— Ce que vous faites, je l’aurais fait un peu plus tard, mais bientôt, me dit-elle sans marquer ni surprise ni contrariété.

— Alors vous ne m’en voulez pas ?

— Aucunement. Vous ne vous appartenez pas, et je n’ai nulle envie de faire tort à personne.

Elle était à sa toilette et s’y remit.

— Adieu, reprit-elle sans tourner la tête.

Elle me regarda dans son miroir et me sourit. Je la quittai sans aucune autre explication.

— Encore une sottise ! me dit Olivier quand il fut informé de ce que j’avais fait.

— Sottise ou non, me voilà libre, lui dis-je. Je pars pour les