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tu viendras à bout d’une situation qui en a découragé de plus forts, et que tu pourras demeurer sans broncher debout sur cette difficulté effroyable où tant de braves cœurs ont défailli, tant pis encore une fois, car je te crois en danger, et sur l’honneur je ne dormirai plus tranquille.

— Je n’ai ni orgueil ni confiance, et tu le sais aussi bien que moi. Ce n’est pas moi qui veux, c’est, comme tu le dis, une situation qui me commande. Je ne puis empêcher ce qui est, je ne puis prévoir ce qui doit être. Je reste où je suis, sur un danger, parce qu’il m’est défendu d’être ailleurs. Ne plus aimer Madeleine ne m’est pas possible, l’aimer autrement ne m’est pas permis. Le jour où sur cette difficulté, d’où je ne puis descendre, la tête me tournera, eh bien ! ce jour-là tu pourras me pleurer comme un homme mort.

— Mort ! non, reprit Olivier, mais tombé de haut. N’importe, ceci est funèbre. Et ce n’est point ainsi que j’entends que tu finisses. C’est bien assez que la vie nous tue tous les jours un peu ; pour Dieu, ne l’aidons pas à nous achever plus vite. Prépare-toi, je te prie, à entendre des choses très dures, et si Paris te fait peur comme un mensonge, habitue-toi du moins à causer en tête-à-tête avec la vérité.

— Parle, lui dis-je, parle. Tu ne me diras rien que je ne me sois mille fois répété.

— C’est une erreur. J’affirme que tu ne t’es jamais tenu ce langage : Madeleine est heureuse ; elle est mariée, elle aura l’une après l’autre les joies légitimes de la famille, sans en excepter aucune, je le désire et je l’espère. Elle peut donc se passer de toi. Elle ne t’est rien qu’une amie fort tendre, tu n’es rien non plus pour elle qu’un excellent camarade qu’elle serait désespérée de perdre comme ami, impardonnable de prendre pour amant. Ce qui vous unit n’est donc qu’un lien, charmant s’il n’est qu’un lien, horrible s’il devenait une chaîne. Tu lui es nécessaire dans la mesure où l’amitié compte et pèse dans la vie ; tu n’as en aucun cas le droit de faire de toi un embarras. Je ne parle pas de mon cousin, qui, s’il était consulté, ferait valoir ses droits suivant les formes connues et avec les argumens des maris menacés dans leur honneur, ce qui est déjà grave, et dans leur bonheur, ce qui est beaucoup plus sérieux. Voilà pour Mme de Nièvres. En ce qui te regarde, la position n’est pas moins simple. Le hasard qui t’a fait rencontrer Madeleine t’avait fait naître aussi six ou huit ans trop tard, ce qui est certainement un grand malheur pour toi et peut-être un accident regrettable pour elle. Un autre est venu qui l’a épousée. M. de Mièvres n’a donc pris que ce qui n’était à personne ; aussi n’as-tu jamais protesté parce que tu as beaucoup de sens, même en ayant beaucoup de cœur. Après avoir décliné toute prétention sur Madeleine comme mari, voudrais-tu, peux-tu y prétendre autrement ? Et pourtant tu continues de l’ai-