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Personne autour de moi, des années entières de solitude avec une consolation certaine, mes livres, un pays que j’adore et le travail, toutes choses irréalisables, et cependant cette hypothèse était la plus douce, et je retrouvai un peu de calme en y songeant.

Puis les heures voisines du matin se mirent à sonner. Deux horloges les répétaient ensemble, presque à l’unisson, comme si la seconde eût été l’écho immédiat de la première. C’était le séminaire et le collège. Ce brusque rappel aux réalités dérisoires du lendemain écrasa ma douleur sous une sensation unique de petitesse, et m’atteignit en plein désespoir comme un coup de férule.


VIII.

« Très certainement il faut que vous ayez beaucoup souffert, m’écrivait Augustin en réponse à des déclamations fort exaltées que je lui adressais très peu de jours après le départ de Madeleine et de son mari ; mais de quoi ? comment ? par qui ? J’en suis encore à me poser des questions que vous ne voulez jamais résoudre. J’entends bien en vous le retentissement de quelque chose qui ressemble à des émotions très connues, très définies, toujours uniques et sans pareilles pour celui qui les éprouve ; mais cette chose n’a pas encore de nom dans vos lettres, et vous m’obligez à vous plaindre aussi vaguement que vous vous plaignez. Ce n’est pourtant pas ce que je voudrais faire. Rien ne me coûte, vous le savez, quand il s’agit de vous, et vous êtes dans une situation de cœur ou d’esprit, comme vous le voudrez, à réclamer quelque chose de plus actif et de plus efficace que des mots, si compatissans qu’ils soient. Vous devez avoir besoin de conseils. Je suis un triste médecin pour les maux dont je vous crois atteint ; je vous conseillerais pourtant un remède qui s’applique à tout, même à ces maladies de l’imagination que je connais mal : c’est une hygiène. J’entends par là l’usage des idées justes, des sentimens logiques, des affections possibles, en un mot l’emploi judicieux des forces et des activités de la vie. La vie, croyez-moi, voilà la grande antithèse et le grand remède à toutes les souffrances dont le principe est une erreur. Le jour où vous mettrez le pied dans la vie, dans la vie réelle, entendez-vous bien ; le jour où vous la connaîtrez avec ses lois, ses nécessités, ses rigueurs, ses devoirs et ses chaînes, ses difficultés et ses peines, ses vraies douleurs et ses enchantemens, vous verrez comme elle est saine, et belle, et forte, et féconde, en vertu même de ses exactitudes ; ce jour-là, vous trouverez que le reste est factice, qu’il n’y a pas de fictions plus grandes, que l’enthousiasme ne s’élève pas plus haut, que l’imagination ne va pas au-delà, qu’elle comble les cœurs les plus avides, qu’elle a de quoi ravir les plus