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l’autre, et versant sur tous les deux comme un rayon de vrai soleil, la limpide lumière de son regard direct et franc, comme une personne un peu lasse, elle monta les escaliers du salon.

Cette soirée-là fut pleine d’effusion, Madeleine avait tant à nous dire ! Elle avait vu de beaux pays, découvert toute sorte de nouveautés, de mœurs, d’idées, de costumes. Elle en parlait, dans le premier désordre d’une mémoire encombrée de souvenirs tumultueux, avec la volubilité d’un esprit impatient de répandre en quelques minutes cette multitude d’acquisitions faites en deux mois. De temps en temps elle s’interrompait, essoufflée de parler, comme si elle l’eût été de monter et de descendre encore les échelons de montagne où son récit nous conduisait. Elle passait la main sur son front, sur ses yeux, relevait en arrière de ses tempes ses épais cheveux, un peu hérissés par la poussière et le vent du voyage. On eût dit que ce geste d’une personne qui marche et qui a chaud rafraîchissait aussi sa mémoire. Elle cherchait un nom, une date, perdait et retrouvait sans cesse le fil embrouillé d’un itinéraire, puis se mettait à rire aux éclats quand, la confusion s’introduisant dans son récit, elle était obligée d’appeler à son aide la claire et sûre mémoire de Julie. Elle exhalait la vie, le plaisir d’apprendre, les curiosités satisfaites. Quoique brisée par un long voyage en voiture, il lui restait encore de ce perpétuel déplacement une habitude de se mouvoir vite qui la faisait dix fois de suite se lever, agir, changer de place, jeter les yeux dans le jardin, donner un coup d’œil de bienvenue aux meubles, aux objets retrouvés. Quelquefois elle nous regardait, Olivier et moi, attentivement, comme pour être bien assurée de se reconnaître et mieux constater son retour et sa présence au milieu de nous ; mais soit qu’elle nous trouvât l’un et l’autre un peu changés, soit que deux mois de séparation et la vue de tant de figures nouvelles l’eussent déshabituée de nos visages, je voyais dans sa physionomie poindre une vague surprise.

— Eh bien ! lui disait Olivier, nous retrouves-tu ?

— Pas tout à fait, disait-elle ingénument ; je vous voyais autrement quand j’étais loin.

Je restais cloué sur un fauteuil. Je la regardais, je l’écoutais, et quoi qu’elle pût penser de nous, le changement que j’apercevais en elle était bien autrement réel, et sans contredit plus absolu, sinon plus profond.

Elle avait bruni. Son teint, ranimé par un hâle léger, rapportait de ses courses en plein air comme un reflet de lumière et de chaleur qui le dorait. Elle avait le regard plus rapide avec le visage un peu plus maigre, les yeux comme élargis par l’effort d’une vie très remplie et par l’habitude d’embrasser de grands horizons. Sa voix,