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Minerve plus sage qu’aucun philosophe, leur Vénus plus belle qu’aucune courtisane d’ici-bas. Eh bien ! ce Dieu nouveau n’est pas même l’égal des dieux des païens, car tout ce qui se pense de faux dans ce monde, c’est sa pensée ; ce qui règne de haines et de vengeances, c’est son cœur ; ce qui se commet de crimes, c’est sa volonté. Non-seulement il permet le mal, comme on le dit dans l’école, mais il le fait. Que dis-je ? il n’y a plus de mal : tout est bien, tout est juste, tout est logique, car tout est divin.

Sur le troisième point que nous avons indiqué, à savoir le rapport de Dieu et du monde, M. Emile Saisset soutient une doctrine hardie et délicate, qui a dû soulever et qui a soulevé en effet de sérieuses objections. Suivant lui, le monde, pour exprimer l’infinité absolue de Dieu, doit posséder lui-même une sorte d’infinité relative : cette infinité relative, c’est l’absence de limites dans le temps et dans l’espace ; mais en quoi cette infinité relative diffère-t-elle de l’infinité absolue, qui, selon l’auteur, n’appartient qu’à Dieu seul ? Le voici. Le monde, à la vérité, possède une étendue et une durée illimitées ; seulement cette étendue est divisible, cette durée est successive. Or ce qui constitue l’infinité absolue, ce n’est pas l’absence de limites, caractère qui n’est pas inconciliable avec l’idée de créature, c’est l’absence de division et l’absence de succession, c’est l’éternité et l’immensité. Ainsi la véritable infinité consiste à être en dehors de l’espace et du temps, formes de l’existence finie, et l’infinité relative, contingente, communiquée, consiste à s’étendre sans limites dans le temps et dans l’espace. Quant au temps et à l’espace considérés en eux-mêmes, ce sont de pures catégories, des conceptions idéales, comme les conceptions géométriques, auxquelles ne correspond aucun objet effectif et réel.

À cette doctrine, soutenue par M. Emile Saisset avec beaucoup de fermeté et de subtilité, un philosophe, un érudit, M. Henri Martin (de Rennes) a opposé des objections d’une certaine importance. La thèse de M. Saisset aurait deux vices principaux aussi graves l’un que l’autre : 1° elle incline au panthéisme, si elle n’y conduit pas nécessairement ; 2° elle est contradictoire en associant deux idées qui s’excluent, l’idée de chose créée et l’idée d’infini.

C’est une objection sérieuse contre toute, doctrine, mais particulièrement. grave pour M. Saisset, que l’imputation de panthéisme, car, le principal objet de son livre étant de combattre et de repousser cette doctrine. Il eût fait preuve de peu de conséquence philosophique en la reprenant pour son compte sous une autre forme, et cela à son insu ; mais ici son adversaire commence par lui faire une concession : ce n’est pas précisément la doctrine de l’infinité de la création qui peut être considérée comme panthéiste, c’est la manière dont on l’établit. « Notre thèse est innocente, dit M. Saisset ; ce sont nos argumens qui sont coupables. » Quels sont ces argumens ? Le principal ou plutôt le seul, c’est que la souveraine perfection de Dieu demande qu’il s’exprime par un monde illimité, puisqu’un monde borné dans l’espace et dans le temps offre évidemment une perfection moins grande, et par là même moins digne de Dieu. Or c’est là, dit-on, un argument fataliste, puisqu’il impose à Dieu la nécessité de créer un monde infini ; mais M. Saisset répond avec raison à cette première objection