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si souvent inquiété. Etranger à notre pays, il faillit un instant être mordu au cœur par la jalousie en contemplant l’aspect martial de cette troupe. Il y a dans notre fantassin je ne sais quel signe de force invincible qu’il faut reconnaître, n’importe à quelle patrie on appartienne. Chacun comprend que ces pieds agiles sont faits pour aller au bout de toutes les routes où ils s’engagent. Quand nos soldats passent avec cet air déterminé, cette marche dégourdie, ce caractère d’entrain et d’action qui est sur leurs traits, dans leurs allures, jusque dans les plis de leurs vêtemens, il faut, bon gré, mal gré, que l’on soit ému d’orgueil national, si l’on est Français, et si on ne l’est pas, d’une admiration mêlée d’un peu d’envie. Combien de fois à nos défilés avons-nous recueilli ce sentiment exprimé en termes sincères et gracieux par les officiers des autres nations! Russes, Prussiens, Anglais, sentent quelque chose tressaillir en eux quant à la fin d’une revue ils ont le visage frappé par le vent de ce drapeau qui va si vite, quoique des pieds poudreux le fassent marcher. Pour parler le langage biblique, leur chair se hérisse, et ils comprennent qu’un esprit vient de passer près d’eux. C’est en effet l’esprit de la France qui les a effleurés.

Le sentiment qui du reste l’emporta chez Laërte quand il eut contemplé quelques minutes ces soldats fut un sentiment de satisfaction et d’orgueil. Guerrier avant tout, il était caressé dans sa passion guerrière par la belle attitude de cette troupe, puis il se félicitait d’avoir choisi de semblables hommes pour compagnons de sa nouvelle vie. Le retard apporté par les vents dans la traversée de la Panagia fut favorable à Zabori en lui enlevant dès son arrivée tout un ordre d’ennuis militaires. Les personnages puissans qui avaient décidé son départ de Vienne s’étaient employés activement près du gouvernement français pour lui faire obtenir dans la légion étrangère un emploi de son grade. Il trouva son brevet de lieutenant à l’état-major général de l’armée d’Afrique. Le régiment dans lequel il était nommé avait alors son dépôt à Alger. Le bataillon dont se composait ce dépôt était caserne dans ce vieux château de la Casbah, bâti sur une hauteur d’où il domine toute la ville. Laërte ne voulut pas perdre un moment, et vers deux heures de l’après-midi il se mit en route pour aller trouver le major qui demeurait dans cette forteresse.

Les rampes qui conduisent à la Casbah sont escarpées; elles étaient toutes ruisselantes d’une chaude lumière. Le temps était devenu pesant. Laërte suivait à pied ce contre-fort, et comme les plus énergiques natures sont sujettes à de subites défaillances, il vit tout à coup sous un aspect douloureux ce qui lui souriait quelques heures auparavant. Il lui sembla qu’il gravissait un calvaire. Ces images de la passion nous reviennent dans toutes les graves