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des imposteurs, se prononcerait immanquablement pour lesdits axiomes. En d’autres termes et à voir le fond des choses, ce n’était pas aux droits du peuple qu’elle croyait, elle croyait avant tout aux droits d’une formule républicaine qui à ses yeux était seule conforme aux principes imprescriptibles. Ce n’était pas le gouvernement du peuple qu’elle se proposait, elle avait en vue quelque chose de moins libéral encore que l’absolutisme des majorités numériques ; son but était de fonder la domination exclusive d’un certain système, de faire prévaloir, en dépit de toutes les résistances, un ordre de choses déterminé qu’elle avait conçu comme la seule constitution rationnelle et légitime.

Mais un pareil but n’est, à le bien prendre, que la négation de la liberté. Le régime de la liberté, c’est l’absence de toute domination exclusive, de celle des majorités comme de celle d’un individu. C’est la coexistence et le concours pacifique des diverses opinions qui peuvent naître de la diversité des tendances, la certitude pour chacune de ne point être régentée par les autres, la faculté pour toutes à la fois de se produire au dehors, de déterminer la conduite des individus tant qu’elles n’empiètent pas sur les droits d’autrui, de prendre part au gouvernement du pays dans la mesure où elles règnent sur les esprits. Viser au contraire à rendre tout égarement impossible en retirant aux individus la liberté de se diriger eux-mêmes, chercher à assurer le bien public en décrétant ce que l’on conçoit de mieux en fait de règle, et en créant le meilleur des pouvoirs pour veiller à ce que rien ne puisse se passer autrement que suivant cette norme, — voilà bien la pensée d’où sont sortis tous les régimes d’autorité, — la pensée qui suggérait à Platon sa république communiste, et qui, en Grèce comme à Rome, n’avait su constituer que le despotisme de l’état, — la pensée qui a enfanté la monarchie absolue de Louis XIV et l’absolutisme de la hiérarchie catholique, — la pensée qui, après avoir inspiré à la république ses comités de patriotes chargés de réformer les esprits en les pliant de force aux institutions modèles, inspire encore à nos socialistes leur projet héroïque d’organiser le bonheur universel, en chargeant l’état de nourrir chacun suivant ses besoins et de le faire travailler suivant ses capacités.

Et il ne s’agit pas de s’en prendre seulement aux fâcheux résultats que cette méthode a pu produire dans telle ou telle de ses applications. Il est vain d’espérer qu’on nous en débarrassera en nous apprenant à voir les inconvéniens de la centralisation ou ceux des assemblées souveraines sans contre-poids, en nous exposant les dangers ou l’iniquité des bastilles de la royauté, des violences arbitraires de la république, des inquisitions et des oppressions morales