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impatience qui se révolte contre tout à une épouvante ou à une fatigue qui ne croient jamais s’être montrées assez serviles devant le pouvoir. Qu’est-ce enfin que notre révolution entière, sinon l’épopée de cette infirmité, la bruyante histoire des incroyables actions qu’elle a enfantées en prenant elle-même des proportions colossales? Dans l’ivresse de ses espérances comme dans la fureur de ses colères, nous retrouvons partout le sceau du même emportement qui la rend malsaine à contempler, malsaine à admirer, malsaine à justifier. Et voilà pourquoi nous réprouvons ces plaidoyers qui, lors même qu’ils rétablissent la vérité dans les faits de détail, ne présentent que le côté des faits qui peut nous rendre plus sympathiques les personnages de ce délire en action ; voilà pourquoi nous croyons que l’on ne saurait trop s’attaquer aux illusions, encore si répandues, qui associent indissolublement l’idée de la révolution et l’idée de la liberté. Sans doute on a souvent reproché aux hommes de 93 l’illégitimité de leurs moyens, et il n’a pas manqué d’habiles esprits pour faire ressortir les funestes conséquences de ces procédés révolutionnaires : on a suffisamment démontré comment l’intimidation et la force, d’où la république attendait la victoire, n’avaient servi qu’à lui aliéner les âmes et à faire oublier les abus de la royauté, comment le plus clair résultat de cette politique avait été de façonner le pays à la servitude et de lui enlever sa foi en la liberté, de l’habituer à se défier des magistratures représentatives et des assemblées populaires comme d’un faux semblant dont il n’y avait à espérer qu’un surcroît de tyrannie. Mais le mal précisément, c’est de s’être trop borné à dénoncer les excès et à incriminer la méthode de la révolution, c’est d’avoir trop cru et trop donné à entendre qu’elle n’avait été coupable que d’une erreur de procédés, d’une erreur de jugement, et que, si les moyens étaient mal choisis, l’esprit qui dictait les intentions était bien le bon esprit et l’esprit de progrès, celui qui doit un jour et qui peut seul nous conduire à la liberté. Cela n’est pas; c’est l’esprit même de la révolution qui était mauvais, et nous nous sommes essentiellement mépris en la considérant au strict sens du mot et dans tous les sens du mot comme le commencement d’une nouvelle ère. Elle appartenait à l’avenir par les besoins qui s’éveillaient alors, ou du moins par ce qu’il y avait de négatif dans ces besoins; elle se rattachait au progrès par le désir d’échapper aux vieilles oppressions, aux vieilles formes de tyrannie qui, au nom du droit divin de ceci ou de cela, avaient exigé des individus le sacrifice de leur raison, de leur conscience, de leur dignité de créature responsable; mais au fond et par toutes les tendances positives du jour, par l’état intellectuel et moral qui déterminait les vœux et la direction des efforts, la révo-