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l’ordre du jour la probité et la vertu, l’Etre suprême et l’immortalité de l’âme, ils énonçaient franchement le différend qui entre eux et lui était comme un abîme et une guerre à mort. Dans le sens où ils l’accusaient de s’ériger en pontife et en messie, ils n’étaient sans doute que des calomniateurs; mais il n’est pas moins vrai que Robespierre était bien le grand prêtre et le messie de la révolution, le théologien et le grand inquisiteur de la religion du contrat social. Homme d’état et homme d’action, législateur et réformateur d’institutions, il ne le fut que par accident. Ce qu’il se proposait avant tout, ce qui lui tenait à cœur, c’était d’annoncer un nouveau dogme et de fonder une nouvelle morale. « Mon cher Robespierre, lui écrivait la sœur de Mirabeau, les principes de vertu que tu exprimes autant dans tes paroles que dans tes actions m’ont fait concevoir le projet d’élever les enfans gratis. Non, je ne te quitterai jamais; j’aurai des vertus en suivant tes conseils et tes exemples. L’amour de la vertu. est ton cri d’armes, le mien est que tu vives longtemps pour le bonheur d’une convention que j’aime. Compte sur mon cœur. » La citoyenne Riquetti disait vrai pour elle et pour ses coreligionnaires : elle exprimait bien la nature et la cause de l’empire que Robespierre a eu sur son temps. S’il a été fort, c’est par l’ascendant qu’il exerçait sur les cœurs. On peut avoir peine à comprendre cette rhétorique vertueuse et sensible qui monte vers nous du milieu des proscriptions, des confiscations, des partis acharnés à s’entr’égorger; il est difficile de s’expliquer comment les mêmes hommes pouvaient de bonne foi débiter leurs idylles sur la fraternité en punissant de mort les opinions, vanter leur pureté et leur innocence en décernant à Marat les honneurs du Panthéon, organiser des fêtes, avec des cortèges touchans de tendres enfans et de vénérables vieillards, au moment même où ils venaient d’attiser les fureurs des jacobins. Tout cela certainement produit l’effet d’un monstrueux charivari, d’une orgie burlesquement dégoûtante; pourtant tout cela était sincère, aussi sincère que les louanges chantées au Dieu de paix et d’amour par les prêtres des auto-da-fé. De bonne foi, la révolution était pure à ses propres yeux; elle ne se proposait que les plus nobles buts : le bien public, le triomphe de la raison, la destruction de l’imposture et de la superstition; elle croyait et voulait faire de la France le flambeau et l’envie des nations. Hélas! elle n’était pas seulement sans inquiétude et sans remords, elle était fière d’obéir inflexiblement à sa conscience, et dans la personne de Robespierre c’était la réalisation parfaite de son idéal qu’elle contemplait avec vénération. Pour elle comme pour lui-même, il était le héros complet, l’homme sans faiblesse, en même temps que l’homme sans tache. Pour nous, il est l’expression complète de l’innocence et de