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la vérité ait à réclamer contre le jugement de son panégyriste. Les portraits qui l’ont représenté comme un buveur de sang ou un ambitieux hypocrite sont un masque trompeur, et plus tôt on en délivrera l’histoire, mieux cela vaudra, car la malice et toutes les criminelles intentions qu’on lui a attribuées ne servent qu’à cacher son vrai péché, le terrible principe d’égarement qui était en lui, et qui n’existe que trop aussi chez ses accusateurs. Il faisait horreur à beaucoup plutôt par son but que par ses moyens, il heurtait dans leur foi des partis et des hommes qui n’auraient point désapprouvé la révocation de l’édit de Nantes ou les croisades contre les Albigeois, qui n’auraient point reculé devant la violence au profit de leur propre cause, et tous ces ennemis, faute de pouvoir le condamner pour sa ressemblance avec eux-mêmes, ont été réduits, dans leur besoin de le haïr, à le trouver odieux pour d’autres motifs.

Plût à Dieu que Robespierre n’eût été qu’un monstre exceptionnel de cruauté! Les méchantes natures, comme les Fouquier-Tinville, les Carrier et les Collot-d’Herbois, ne sont pas ce qui épouvante, ni ce qui peut faire une dangereuse propagande. Plût à Dieu que Robespierre n’eût été qu’un hypocrite! L’hypocrisie témoigne seulement contre elle-même, et à sa manière elle est un hommage rendu au bien. Ce qui désespère, c’est de voir qu’une foi sincère en Dieu enfante des Saint-Barthélémy, et que le patriotisme, la philanthropie, le dévouement à la justice peuvent n’aboutir qu’à faire de nous des êtres sans foi ni loi, des fanatiques qui, pour les fins qu’ils croient bonnes, se permettent des massacres de septembre, des lois contre les suspects, des procédures comme celles du tribunal révolutionnaire. Ce qui est navrant surtout, c’est de se trouver en face d’un esprit aveuglé qui, par son aveuglement, représente celui d’une époque entière et d’une longue suite de générations; c’est de se heurter à un caractère historique qui, par sa sincérité même, nous démontre à quelles aberrations la conscience aussi est sujette.

Et Robespierre, à notre sens, est essentiellement un de ces personnages typiques. D’autres ont été les manœuvres du jour ou les cailloux emportés par le torrent; lui, il est le croyant par excellence de la révolution, l’incarnation la plus naïve de sa foi; il est la foi de la révolution s’adorant elle-même avec une confiance sans bornes, une complaisance sans limites, une incapacité suprême de rien voir au-delà, ni à côté, ni au-dessus d’elle-même. S’il a eu une faiblesse, c’était celle de poser devant l’univers et devant son propre orgueil comme l’incorruptible avocat du droit, comme le modèle de l’austérité qui devait régénérer l’humanité. Quand Billaud-Varennes et Collot-d’Herbois lui reprochaient les décrets qui avaient mis à