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tions de l’existence humaine, leur a fait des destinées meilleures et comme un hymen spirituel. Au bout de quelques années encore, le vœu formé pour eux par la mère de Gérard se réalise à l’improviste. La peste sévit à Deventer. Ils y courent tous deux à l’insu l’un de l’autre, amenés par la même sollicitude. L’enfant pour lequel ils tremblent n’est pas atteint; mais Marguerite succombe au fléau. Gérard reçoit, en même temps que les adieux de celle qu’il a tant aimée, les tendres aveux qu’elle gardait pour cette heure suprême. Mieux que jamais il pénètre en cette âme, dont la candeur l’étonne et le frappe d’admiration; mieux que jamais il comprend aussi ce qu’il va perdre, et le « joyeux curé de Gouda, » rentré pour y mourir en paix dans un couvent de son ordre, y rend l’âme peu de mois après, étendu sur une croix de cendres.

Quant à leur fils, voici ce que nous apprend la dernière page du livre :


« Cet enfant aux cheveux blonds, Gérard Gérardson, n’appartient pas à la fiction, mais bien à l’histoire. Elle a relaté sa naissance dans d’autres termes que les miens. A Rotterdam, sur la façade d’une maison de Brede-Kirk-Straet, appartenant à un tailleur, voici l’inscription qu’elle a placée :

Hæc est parva domus natus qua magnus ERASMUS.


Et depuis lors elle a écrit sa vie pour le moins une douzaine de fois. Il lui reste pourtant encore sur ce point quelque chose à faire. Elle ne nous paraît pas avoir mieux compris magnum Erasmum qu’un pygmée d’ordinaire ne comprend un géant, ou qu’un homme de parti ne comprend un juge. »


M. Reade, par cet hommage à la mémoire d’Erasme, acquitte une dette qu’il reconnaît d’ailleurs avec une bonne foi louable. Les lettres, les colloques du précurseur de la réforme, du Voltaire de la renaissance, ont fourni à l’auteur de the Cloister and the Hearth maint et maint épisode de ce roman singulier, dont notre analyse, si détaillée qu’elle puisse paraître, ne saurait donner un aperçu complet. Il s’agit en effet d’une œuvre très longue et très complexe, où la multiplicité des détails, le nombre des figures esquissées, l’ampleur du panorama déroulé sous l’œil du lecteur le troublent malgré qu’il en ait, et le plongent dans une sorte de stupéfaction éblouie. Au dessin du tableau manquent l’ordonnance et l’unité, aux couleurs les nuances et l’harmonie, à l’ensemble les proportions logiques et le juste équilibre des parties. L’imagination surabonde, affranchie de toute gêne et de tout frein; l’art exquis fait défaut, ou se révèle à peine çà et là par quelques combinaisons heureuses. Dans son cours impétueux, dans ses flots troublés, le récit emporte et charrie pour