Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/922

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou rendus impuissans par le morcellement et les rivalités auxquels l’Italie était livrée avant 1859.

En signalant ainsi la nécessité pour la politique française de relever les états peuplés par les races latines, je suis bien loin d’exclure l’alliance anglaise : celle-ci doit être considérée au contraire comme essentielle. Le bon accord des deux nations les plus puissantes du globe est aujourd’hui la condition même de la paix générale et du progrès de la civilisation. Pour chacune des deux, c’est le gage d’une sécurité parfaite, la meilleure garantie du maintien de sa propre prépondérance. L’harmonie des deux cabinets de Paris et de Londres, la communauté de leurs vues sur les événemens principaux et la marche générale des affaires, leur volonté d’exercer une action commune dans les circonstances les plus importantes, sont d’inappréciables bienfaits pour le genre humain. Il peut exister quelque chose de plus intime dans les relations politiques de la France avec les deux péninsules, et l’alliance ici devrait avoir le caractère d’un pacte de famille. C’est que l’une et l’autre l’Angleterre et la France ont une personnalité à la fois trop énergique et trop distincte pour pouvoir s’engager et se lier au même degré. La France se présente avec plus d’avantage pour l’alliance anglaise elle-même, si elle est étroitement unie à l’Espagne et à l’Italie fortement constituées l’une et l’autre, si elle est fondée à se dire l’organe des races latines de l’Europe et du monde entier, et si les états de cette origine sont eux-mêmes fortement organisés et marchent d’un pas ferme dans la voie du progrès.

L’expédition du Mexique se l’attache ainsi à des pensées élevées de politique générale. Son succès définitif, ce qui signifie l’affermissement politique et social de ce malheureux pays, est subordonné sans doute à d’autres causes encore que l’intervention et la bonne volonté des puissances qui y ont envoyé leurs soldats ou leurs flottes. Parmi ces causes, sur lesquelles nous ne pouvons rien, il faut ranger la disposition des esprits et des caractères parmi les populations mexicaines. Il n’est pas superflu d’ajouter qu’il y en a d’inhérentes à l’état même de la religion catholique, à l’attitude des chefs de la hiérarchie romaine par rapport aux bases mêmes de la civilisation moderne. Quelle que soit cependant l’issue de l’expédition, les pensées qui me paraissent l’avoir conseillée, et qui tout au moins la justifient, n’en restent pas moins aussi salutaires qu’opportunes, et il faut espérer que la politique française ne s’en départira pas.


MICHEL CHEVALIER.