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dernière campagne a laissé sur les imaginations chinoises de tels souvenirs qu’on peut croire que l’empereur fils du ciel ne renouvellera plus ses tentatives d’isolement[1]. C’est pour ne plus se relever que la muraille de la Chine est renversée. Le Japon, intimidé par le retentissement des campagnes de l’Angleterre et de la France en Chine, a de lui-même abaissé ses barrières, dès que l’invitation, lui en a été adressée. Il y avait déjà des années que l’Inde et les royaumes limitrophes, jusques et y compris la vallée de l’Indus et l’empire des cinq vallées, ou Penjab, avaient été conquis par les armes anglaises. Ainsi la civilisation occidentale, soit qu’elle réside au Mexique ou dans l’Union américaine, soit qu’elle ait son siège dans les états dont Londres, Paris, Berlin et Saint-Pétersbourg sont les capitales, voit devant elle en Asie des espaces infinis, désormais ouverts, qui appellent son commerce et ses hommes entreprenans.

Le cours des événemens semble être guidé par une force supérieure de manière à multiplier les échanges, et par les échanges les contacts personnels entre l’Europe, ou, pour mieux dire, la civilisation occidentale et les diverses branches de la civilisation asiatique. Ainsi la production de la matière première d’une des plus belles industries de l’Occident, celle des soieries, a été tout d’un coup profondément atteinte en Europe par un accident inouï dans les fastes de l’agriculture, la maladie du ver à soie, contre laquelle jusqu’à ce jour tous les efforts ont échoué. Dès lors les manufactures de l’Europe, pour se procurer ce que nos magnaneries avaient cessé de leur fournir en suffisante quantité, ont du s’adresser à la Chine, où la soie abonde. De là une importation énorme en Europe des soies de l’empire chinois. Autre exemple : récemment, la guerre civile ayant éclaté dans la confédération de l’Amérique du Nord, le coton, dont l’Union était le principal fournisseur, a cessé d’arriver sur les marchés de l’Europe. De là une émotion très vive que les gouvernemens eux-mêmes ont partagée, car lorsque la plus vaste des industries manufacturières, celle qui occupe la plus grande masse d’ouvriers, celle dont la production représente la plus forte

  1. Je ne voudrais pas que le lecteur supposât qu’en parlant de la profonde impression qu’ont reçue les imaginations chinoises pendant la dernière campagne, j’attribue un effet salutaire à l’acte le vandalisme qui a consisté à incendier de propos délibéré les palais enfermés dans le parc impérial de Yueu-mien-yuen. Le sentiment de l’Europe a condamné cette violence calculée. Une déplorable circonstance a encore aggravé cet acte barbare, c’est le pillage qui a accompagné l’incendie. Celui des deux gouvernemens dont le plénipotentiaire a insisté pour l’accomplissement de l’incendie s’est donné le tort de s’abstenir d’en faire l’objet d’un blâme public. Plus les états européens affectent de prétentions envers les autres parties du monde, plus ils doivent être attentifs à se conduire honorablement envers elles. Dominer l’Asie par la force des armes, si l’on n’y joint l’observation des droits de l’humanité, serait se placer sur la même ligne qu’Attila et Gengis-Khan.