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Il se tournait de temps en temps machinalement vers la lucarne pour respirer. Il m’adressa la parole en français :

— Vous devinez peut-être qui je suis?

— Je crois avoir l’honneur de parler au gouverneur-général prince Bibikov.

— Vous vous nommez Piotrowski, vous êtes né en Ukraine, vous avez pris part à la révolte de 1831, vous avez émigré en France, et vous êtes revenu ensuite à Kamienieç sous le nom de Catharo?

— Oui, excellence.

— Vous prétendez n’être revenu que dans le désir de revoir le pays; mais après 1831 l’empereur a accordé une amnistie, pourquoi n’en avez-vous pas profité ?

— Je ne voudrais rien dire qui puisse déplaire à votre excellence; mais la manière dont cette amnistie fut pratiquée n’était pas de nature à nous encourager. Du reste, l’amnistie ne s’appliquait qu’aux sujets du royaume; les habitans des provinces détachées en étaient privés. Et puis, pour demander grâce, il faut avoir le sentiment d’avoir été coupable...

— Qui vous a donné le passeport anglais?

— Je l’ai trouvé dans la rue.

— Vous avez passé plus d’un mois en Hongrie; vous voyez que je suis bien renseigné sur vous. Pourquoi y êtes-vous allé?

— Pour faire perdre mes traces et pour abréger le voyage.

— Oh ! vous aviez bien d’autres raisons pour cela. Vous êtes membre de la Société démocratique?

— J’en faisais partie autrefois en effet, mais il y a bien longtemps que je m’en suis retiré.

— Vous êtes un émissaire de cette société?

— Non,

— Ainsi en venant ici vous n’aviez aucun but, aucune mission politique?

— Certainement non.

— Ce n’est pas par de telles assertions que vous améliorerez votre situation. Elle est, je ne vous le cache pas, bien mauvaise. Seuls, des aveux sincères et complets peuvent faire diminuer votre peine et vous mériter surtout l’indulgence de l’empereur. Vous avez connu Konarski?

— Non.

— Mais vous avez entendu parler de lui?

— Certainement, ainsi que de ses tortures.

— Votre situation est la même que celle de Konarski; la sincérité de vos aveux peut seule en diminuer les conséquences. Je ne veux pas juger vos sentimens; je veux seulement savoir qui vous avez connu à Kamienieç et dans la province. Je ne demande pas que