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kovskoï, de la chancellerie du prince Bibikov, gouverneur-général de Volhynie, Podolie et Ukraine. Le major était arrivé exprès de Kiow pour procéder à mon arrestation. J’exprimai ma surprise d’une visite aussi matinale, et mon étonnement redoubla naturellement à la nouvelle qu’on allait m’amener sous escorte devant le gouverneur. Je ne me fis pas faute non plus de rappeler ma qualité de sujet britannique et de faire ressortir toute la gravité des procédés inconcevables dont on usait envers moi. Après avoir ainsi rempli les formalités nécessaires de mon rôle, je demandai la permission de passer dans l’autre chambre pour faire ma toilette. Pendant que je m’habillai, le commissaire se saisissait de mes papiers, de mes effets, et bientôt nous nous dirigions vers la maison du gouverneur, le général Radistchev, que je connaissais depuis longtemps. Cette première entrevue fut aussi courte que peu décisive. Le gouverneur entra brusquement dans le salon et m’interpella en langue russe. Je prétendis ne pas comprendre ce qu’il disait, et je le priai de m’entretenir en français, de m’expliquer surtout la cause de mon arrestation. — « Vous la saurez bientôt. » — Et sur un signe de sa main on me fit sortir. On me conduisit à la maison du directeur de la police ; là je fus installé dans une chambre attenant au salon: les portes furent fermées à clé, un employé en uniforme me tint compagnie en se conformant strictement à l’ordre reçu de ne pas m’adresser la parole.

J’avais jusqu’ici gardé tout mon sang-froid et j’étais même assez étonné de mon calme parfait depuis le moment du réveil ; mais, resté seul ou à peu près, je sentis subitement une grande défaillance de cœur. La pensée des malheurs qui m’attendaient, qui attendaient tant de mes pauvres frères, me brûlait le cerveau, et je sentis les larmes me venir aux yeux. Pour cacher cette dangereuse émotion, je me retournai vers le mur en y appuyant mon front ; mais alors je crus entendre derrière ce mur des gémissemens, les voix de mes compagnons d’infortune. Je voulus me distraire à toute force, et je me saisis d’un jeu de cartes que j’aperçus sur un guéridon. Enfant de l’Ukraine, j’étais un peu superstitieux ; je me mis à tirer les cartes, et elles me promettaient… ma délivrance ! Le dirai-je ? cette prophétie de la bonne aventure ne fit qu’augmenter mon irrigation, et je sus presque gré au directeur de la police, qui entrait ta ce moment pour s’enquérir de mes besoins, et qui emporta avec lui le jeu tentateur.

Une distraction beaucoup plus sérieuse remplaça quelques momens après celle que m’avait procurée la puérile consultation des cartes. A remployé qui me surveillait déjà vint bientôt s’en adjoindre un autre, et ainsi commença une conversation non dépourvue certes d’intérêt pour moi. Tout le monde me connaissait si bien