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maines, de l’hospice, que mon compagnon américain avait quitté un peu avant moi, je vins le chercher à l’adresse qu’il m’avait laissée, et il me remit en effet un passeport anglais sous le nom de Joseph Catharo, originaire de La Valette (Malte), âgé de trente-six ans. La pièce était des plus régulières, délivrée à l’ambassade anglaise à Paris pour Constantinople, et signée par l’ambassadeur lord Cowley. C’était ce que je pouvais désirer de mieux. Un passeport anglais était, dans ma position, préférable à tout autre; je savais parfaitement l’italien, tandis que je parlais très mal l’idiome de la Grande-Bretagne : ma qualité supposée de Maltais me mettait complétement à couvert de ce côté. Les différens visa de Bade, Wurtemberg, Bavière, Autriche et Turquie furent bien vite obtenus; mais au ministère des affaires étrangères on mit, à côté du cachet, deux lignes imprimées contenant les mots fatals : « Tenu à se présenter à la préfecture de police. » Or j’avais toute sorte de raisons pour ne pas informer de mon départ la préfecture de police, qui aurait pu être plus curieuse que mon Américain. Après m’être longtemps creusé la tête pour faire disparaître la clause malencontreuse, je m’arrêtai au moyen très peu ingénieux de verser sur ces deux lignes de l’encre, simulant ainsi une grande tache et ne laissant en vue que le cachet du ministère. Le procédé fut à coup sûr grossier: il ne m’en servit pas moins bien, et aucune des nombreuses polices auxquelles je dus dans la suite présenter mon passeport ne s’est formalisée de la tache qui le déparait.

Pourvu de la sorte et muni de la somme de cent cinquante francs, qui devait suffire aux besoins du long voyage, je quittai Paris le janvier 1843. Après avoir traversé sans encombre Strasbourg, Stuttgart. Munich, Salzbourg et Vienne, je m’acheminai de la vers Pesth. Dans l’intérêt de ma mission, je dus m’arrêter dans la capitale de la Hongrie pendant tout un mois. Je profitai en même temps de ce séjour pour adresser à l’ambassadeur anglais à Vienne une demande de renouvellement de passeport, mon intention étant de me diriger vers la Russie, au lieu de me rendre à Constantinople, et d’y passer un assez long temps. La réponse ne se fit pas attendre : au bout de quelques jours, je reçus de Vienne un nouveau passeport en échange de l’ancien, de date toute récente, heureusement dépourvu de toute tache d’encre omineuse et visé pour la Russie. Le 28 février, je quittai Pesth pour atteindre Kamienieç en Podolie, but de mon voyage.

La somme modique que j’avais emportée de Paris s’étant de beaucoup réduite malgré une manière de vivre des plus économiques, je résolus de faire à pied le reste de mon voyage de Hongrie jusqu’en Podolie. La saison était favorable, le paysage magnifique, et le trajet des Karpathes avait de quoi me faire oublier de légères