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c’est-à-dire le hasard. Dieu sans doute est tout-puissant et libre; mais sa toute-puissance est réglée par sa sagesse, et comme le vrai et le bien constituent son essence, dire que sa liberté a pour limite le vrai et le bien, c’est dire que Dieu ne dépend après tout que de Dieu même, ou en d’autres termes que Dieu agit en Dieu.

Malebranche n’est point le premier qui ait posé ces principes simples et lumineux. Ce sont ceux de Platon, et Malebranche, qui ne lisait pas l’Eutyphron, ni le Timée, ni les Ennéades, en avait reçu le souffle inspirateur à travers saint Augustin. Il ne fait donc ici que changer de maître; mais en associant librement les grandes vues de Platon avec lus pensers les plus hardis de Descartes, il est profondément original.

Sa maîtresse idée, c’est que Dieu en créant le monde s’est proposé une fin, et que les moyens choisis pour l’atteindre doivent, comme la fin elle-même, être dignes de lui. Dieu est parfait; il se suffit à lui-même. Si donc il a fait le monde, c’est par bonté. Il n’a pas été avare de sa puissance; il a voulu communiquer ses perfections. Or comment l’univers fera-t-il éclater les perfections de son auteur? Par la simplicité de ses lois. C’est le propre d’une cause imparfaite d’agir à l’aventure, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. La cause parfaite agit d’une manière égale et uniforme; elle imprime à ses actions le caractère de l’éternité et de l’immensité. Elle n’a pas de volontés particulières et changeantes, mais des volontés générales. Elle a donné à la nature des lois, les lois les plus simples, c’est-à-dire les plus stables, les plus universelles, les plus harmonieuses que comporte son essence imparfaite.

Voilà ce que dit la raison spéculant a priori. L’expérience dit-elle le contraire? Elle semble le dire quelquefois. Elle nous fait voir dans le monde physique des bouleversemens, des désordres, des monstres, et dans l’ordre moral ce monstre semble, le vice, et ce désordre épouvantable, la douleur. Comment expliquer ce mystère? Malebranche croit y réussir par son principe des volontés générales. C’est sans doute un phénomène étrange, dit-il, qu’un volcan détruise une grande cité, que souvent des torrens de pluie inondent le désert, alors que l’eau manque à nos champs desséchés. Pourquoi Dieu souffre-t-il cela? C’est que, pour détourner la lave du volcan, il faudrait une volonté particulière, c’est-à-dire une intervention locale et accidentelle de la cause première, c’est-à-dire un miracle. Or demander à Dieu des miracles quotidiens, c’est lui demander de détruire les lois de la nature, de se conduire comme un monarque capricieux et non comme un immuable législateur, c’est vouloir que l’univers n’ait plus d’ordre et Dieu plus de sagesse. Il faut donc se résigner à ces désordres accidentels qui couvrent un ordre général. Et de même, dans une autre sphère, exiger que Dieu arrête la main