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retirés du monde avec elle. La révolution, qu’ils avaient vue de près, et qui leur fournissait un fonds commun d’anecdotes et de griefs, les avait tous aussi façonnés de même en les trempant dans la même épreuve. On se souvenait des durs hivers passés ensemble dans la citadelle de ***, du bois qui manquait, des dortoirs de caserne où l’on couchait sans lit, des enfans qu’on habillait avec des rideaux, du pain noir qu’on allait acheter en cachette. On se surprenait à sourire de ce qui jadis avait été terrible. La mansuétude de l’âge avait calmé les plus vives colères. La vie avait repris son cours, fermant les blessures, réparant les désastres, amortissant les regrets, ou les apaisant sous des regrets plus récens. On ne conspirait point, on médisait à peine, on attendait. Enfin, dans un coin du salon, il y avait une table de jeu pour les enfans, et c’est là que chuchotaient, tout en remuant des cartes, le parti de la jeunesse et les représentans de l’avenir, c’est-à-dire de l’inconnu.

Le jour même de ma rencontre avec Olivier, en rentrant du collège, je m’étais empressé de dire à ma tante que j’avais un ami.

— Un ami ! m’avait dit Mme Ceyssac ; vous vous hâtez peut-être un peu, mon cher Dominique. Savez-vous son nom ; quel âge a-t-il ?

Je racontai ce que je savais d’Olivier, et le peignis sous les couleurs aimables qui à première vue m’avaient séduit ; mais le nom seul avait suffi pour rassurer ma tante.

— C’est un des plus anciens noms et des meilleurs de notre pays, me dit-elle. Il est porté par un homme pour lequel j’ai moi-même beaucoup d’estime et d’amitié.

Très peu de semaines après ce nouveau lien formé, l’union des deux familles était complète, et le premier mois de l’hiver inaugura nos réunions soit chez Mme Ceyssac, soit à l’hotel d’Orsel, comme Olivier disait en parlant de la maison de la rue des Carmélites, habitée sans grand apparat par son oncle et ses cousines.

De ces deux cousines, l’une était une enfant appelée Julie ; l’autre, plus âgée que nous d’un an à peu près, s’appelait Madeleine, et sortait du couvent. Elle en gardait la tenue comprimée, les gaucheries de geste, l’embarras d’elle-même ; elle en portait la livrée modeste ; elle usait encore, au moment dont je vous parle, une série de robes tristes, étroites, montantes, limées au corsage par le frottement des pupitres, et fripées aux genoux par les génuflexions sur le pavé de la chapelle. Blanche avec des froideurs de teint qui sentaient la vie à l’ombre et l’absence totale d’émotions, des yeux qui s’ouvraient mal comme au sortir du sommeil, ni grande, ni petite, ni maigre, ni grasse, avec une taille indécise qui avait besoin de se définir et de se former, on la disait déjà fort jolie, et je le répétais volontiers sans y prendre garde et sans y croire.