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certain de me retrouver à Paris quand il y viendra et assuré de mon dévouement, à quelque moment que ce soit, comme aujourd’hui.

— Ecrivez-moi, me dit-il en m’embrassant avec une véritable émotion. Je vous promets d’en faire autant. Bon courage et bonnes chances ! Vous les avez toutes pour vous.

À peine était-il installé sur la haute banquette que le postillon rassembla les rênes.

— Adieu ! me dit-il encore avec une expression moitié tendre et moitié radieuse.

Le fouet du postillon cingla les quatre chevaux d’attelage, et la voiture se mit à rouler vers Paris.

Le lendemain, à huit heures, j’étais au collège. J’entrai le dernier pour éviter le flot des élèves et ne pas me faire examiner dans la cour de cet œil jamais tout à fait bienveillant dont on regarde les nouveau-venus. J’y marchai droit devant moi, l’œil fixé sur une porte peinte en jaune, au-dessus de laquelle il y avait écrit : Seconde. Sur le seuil se tenait un homme à cheveux grisonnans, blême et sérieux, à visage usé, sans dureté ni bonhomie. « Allons, me dit-il, allons un peu plus vite. » Ce rappel à l’exactitude, le premier mot de discipline qu’un inconnu m’eût encore adressé, me fit lever la tête et le considérer. Il avait l’air ennuyé, indifférent, et ne songeait déjà plus à ce qu’il m’avait dit. Je me rappelai la recommandation d’Augustin. Un éclair de stoïcisme et de décision me traversa l’esprit. « Il a raison, pensai-je, je suis d’une demi-minute en retard, » et j’entrai. Le professeur monta dans sa chaire et se mit à dicter. C’était une composition de début. Pour la première fuis, mon amour-propre avait à lutter contre des ambitions rivales. J’examinai mes nouveaux camarades, et me sentis parfaitement seul. La classe était sombre ; il pleuvait. À travers la fenêtre à petits carreaux, je voyais des arbres agités par le vent et dont les rameaux trop à l’étroit se frottaient contre les murs noirâtres du préau. Ce bruit familier du vent pluvieux dans les arbres se répandait comme un murmure intermittent au milieu du silence des cours. Je l’écoutais sans trop d’amertume dans une sorte de tristesse frissonnante et recueillie dont la douceur par momens devenait extrême. « Vous ne travaillez donc pas ? me dit tout à coup le professeur. Cela vous regarde… » Puis il s’occupa d’autre chose. Je n’entendis plus que les plumes courant sur des papiers.

Un peu plus tard, l’élève auprès de qui j’étais placé me glissait adroitement un billet. Ce billet contenait une phrase extraite de la dictée, avec ces mots : « Aidez-moi, si vous le pouvez ; tâchez de m’épargner un contre-sens. » Tout aussitôt je lui renvoyai la traduction bonne ou mauvaise, mais copiée sur ma propre version.