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ou d’intendant des fermes. Ce serviteur, dont le nom reviendra plus tard dans ce récit, s’appelait André. En qualité d’enfant du pays et je crois bien d’enfant de la maison, il avait, vis-à-vis de son maître, autant de privautés que de tendresse. « Monsieur notre maître, » disait-il toujours, soit qu’il parlât de lui ou qu’il lui parlât, et le maître à son tour le tutoyait par une habitude qu’il avait gardée de sa jeunesse et qui perpétuait des traditions domestiques assez touchantes entre le jeune chef de famille et le vieux André. André était donc, après le maître et la maîtresse du logis, le principal personnage des Trembles et le mieux écouté. Le reste du personnel, assez nombreux, se distribuait dans les multiples recoins de la maison et de la ferme. Le plus souvent tout paraissait vide, excepté la basse-cour, où remuaient tout le jour durant des troupeaux de poules, le grand jardin où les filles de la ferme ramassaient des faix d’herbes, et la terrasse exposée au midi, où, quand il faisait beau. Mme de Bray avec ses enfans se tenait dans l’ombre, chaque matin plus rare, des treilles, dont les pampres tombaient. Quelquefois des journées entières se passaient sans qu’on entendît quoi que ce fut qui rappelât la vie dans cette maison où tant de gens vivaient cependant dans l’activité des soins ou du travail.

La mairie n’était point aux Trembles, quoique depuis deux ou trois générations les de Bray eussent toujours été, comme par un droit acquis, maires de la commune. Les archives étaient déposées à Villeneuve. Une maison de paysan des plus rustiques servait à la fois d’école primaire et de maison communale. Dominique s’y rendait deux fois par mois pour présider le conseil et de loin en loin pour des mariages. Ce jour-là, il partait avec son écharpe dans sa poche, et la ceignait en entrant dans la salle des séances. Il accompagnait assez volontiers les formalités légales d’une petite allocution qui produisait d’excellens effets. Il me fut donné de l’entendre à l’époque dont je parle, deux fois de suite dans la même semaine. Les vendanges amènent infailliblement les mariages ; c’est, avec les veillées de carême, la saison de l’année qui rend les garçons entreprenans, attendrit le cœur des filles et fait le plus d’amoureux.

Quant aux distributions de bienfaisance, c’était Mme de Bray qui en avait tout le soin. Elle tenait les clés de la pharmacie, du linge, du gros bois, des sarmens ; les bons de pains, signés du maire, étaient écrits de sa main. Et si elle ajoutait du sien aux libéralités officielles de la commune, personne n’en savait rien, et les pauvres en recueillaient les bénéfices sans jamais apercevoir la main qui donnait. De vrais pauvres d’ailleurs, grâce à un pareil voisinage, il n’y en avait que très peu dans la commune. Les ressources de la