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guerre civiles combattues sans que le sang d’un seul citoyen eût été répandu hors des champs de bataille. Les institutions mêmes n’ont point eu à souffrir de cette situation violente. Dans chaque état, dans les villes, dans les campagnes, la machine du self-government, du gouvernement du peuple par le peuple, a fonctionné aussi régulièrement qu’avait les troubles. Au lieu d’exciter le nord à des actes de violence, chaque succès lui inspire une mesure conciliatrice. Les prisonniers politiques, bien moins nombreux qu’on ne l’a dit en Angleterre, ont tous été relâchés sans conditions. Le président Lincoln a posé la question de l’émancipation dans une forme et avec un à-propos qui annoncent le coup d’œil de l’homme d’état. Cet événement, accueilli avec applaudissemens par l’Europe libérale, a aux yeux des Américains l’importance d’une victoire, parce qu’il rendra fécondes les victoires fédérales. Personne aux États-Unis ne s’y trompe, et bien des gens parmi les Américains du sud en conviennent, la question de l’esclavage est tranchée en principe, l’extension de cette institution funeste est désormais impossible, l’institution elle-même est condamnée à périr dans un temps donné. La politique de M. Lincoln ménage les droits acquis; elle laisse le choix des moyens de l’émancipation aux parties intéressées; elle prépare la guérison progressive de la plaie dont l’Amérique a failli périr. Pour accomplir l’affranchissement immédiat des nègres, il eût fallu d’une part entreprendre la conquête pied à pied de tout le territoire du sud, chose matériellement impossible, d’autre part faire un coup d’état dans tous les pays à enclaves demeurés fidèles à l’union et à la constitution. L’humanité, le bon sens, le sentiment américain de la légalité, se refusaient à cette témérité désespérée. Dès lors, pour rendre la réconciliation sérieuse et le rétablissement de l’union durable, il était indispensable de faire cesser, pour la question de l’esclavage, cet état d’incertitude qui, de discussion en discussion, de provocation eu provocation, avait fini par conduire l’Amérique au déchirement de la guerre civile. Le président Lincoln a proposé au congrès d’établir que l’esclavage est un mal, qu’il peut être toléré encore un certain temps, mais qu’il doit cesser un jour, et qu’à la guérison de ce mal l’Union entière s’engage à contribuer. La déclaration du président enlève cette question irritante aux discussions qui l’ont envenimée, et pour la résoudre il n’est plus impossible aux représentans des deux partis, qui sont maintenant en armes, de siéger un jour dans la même assemblée.

Plus rapprochés de l’Italie, plus liés à ses vicissitudes par les responsabilités que nous avons contractées envers elle, les incertitudes de sa situation excitent parmi nous des inquiétudes plus vives. L’on exagère trop, à notre avis, la portée des incidens dont l’Italie est en ce moment le théâtre. Nous commettons en France l’erreur de juger les Italiens sur notre patron. Nous ne comprenons pas par exemple que les Italiens, divisés d’homme à homme, de ville à ville, de région à région, par des nuances de traditions ou d’intérêts dont le sens nous échappe, soient pourtant unanimes dans leurs aspirations vers l’unité. Nous prenons peur au spectacle des triom-