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rons pas sur la propriété ou la prudence du mot. Si l’adresse est la seule issue qui soit ouverte à nos chambres pour faire parvenir au gouvernement leur opinion sur la politique générale, nous ne blâmerons pas non plus les chambres de la dépense inopportune de temps causée par la discussion de l’adresse. Nous demanderons seulement si, pour arriver au même résultat, il n’y avait pas mieux à faire. N’est-il pas évident en effet que le droit d’interpellation et de motion accordé ou rendu à la chambre eût mieux ménagé le temps et le travail du corps législatif? N’eût-il pas mieux valu, par exemple, que la question de la presse, la question italienne, la question de la politique commerciale, eussent été l’objet de motions et de discussions séparées, distinctes, spéciales, et que la chambre eût été mise depuis deux mois en mesure d’étudier et de discuter sinon toutes les lois de finance, du moins les parties les plus importantes du budget? Pourquoi tout entasser dans l’adresse? Que gagne le gouvernement à cette accumulation indigeste? Puisqu’on n’a évité aucun des débats importans qui naissent de la situation du pays, n’eût-il pas été préférable de laisser MM. Kolb-Bernard et Keller soulever à leur loisir la question romaine, MM. Picard et Favre les questions de liberté intérieure, MM. Brame et Pouyer-Quertier les questions commerciales? Ces discussions s’échelonnant sur la durée de la session, la chambre n’eût-elle pas pu entamer avec plus de vigueur et poursuivre avec plus d’ensemble le travail réel de la session? Pour le pays, pour le gouvernement, pour la bonne expédition des affaires, n’y eût-il pas eu plus de profit à embrasser dans son unité la politique financière? Voilà les fortes leçons que nous eussions eu plaisir à voir M. de Morny dégager de l’expérience des débats de l’adresse. Puisque nous n’avons pas de ministres responsables, puisque nos ministres-orateurs, commissaires et avocats du gouvernement, demeurent en dehors de la sphère d’action du parlement, puisque la chambre n’a d’autre directeur, d’autre leader que son président, c’est à M. de Morny qu’il appartient de demander et d’obtenir pour le corps législatif l’octroi ou la restitution d’attributions qu’il ne faut pas considérer au point de vue des prérogatives jalouses ou redoutées du pouvoir parlementaire, car elles ne sont, après tout, que des ressorts indispensables à la bonne conduite et à l’unité du travail législatif.

La scène la plus vive de l’épisode de l’adresse a été l’amendement des députés protectionistes, soutenu par M. Pouyer-Quertier avec une rare vigueur et un incontestable talent. Quoique nous ne partagions point les opinions économiques du député normand, nous ne sommes pas insensibles aux doléances qu’il a exprimées au nom de l’industrie cotonnière, et nous ne méconnaissons pas la portée de quelques-uns des argumens sur lesquels il s’est appuyé. On doit reconnaître avant tout que l’application du traité de commerce s’est faite au milieu de circonstances qu’il n’était pas possible de prévoir en 1860, mais qui n’en sont pas moins les plus malheureuses du monde. Tout s’est réuni en France cette année pour décourager la production et restreindre les facultés de la consommation : une insuffisance consi-