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de révision de tout ce qui s’est passé depuis le mois de février 1861 et d’une série de châtimens appliqués indistinctement par la loi martiale à toutes les classes, à tous les cultes comme à toutes les professions. Parmi tous ces hommes punis, déportés, enfermés dans des forteresses, qui trouve-t-on? M. Szlenker, le prévôt des marchands de Varsovie, le plus riche et le plus honorable commerçant du royaume: M. Hiszpanski, chef de la corporation des ouvriers cordonniers, petit-fils de Kilinski, aimé et influent à Varsovie, membre de la délégation formée en 1861 et élu au mois de septembre de la même année membre du conseil municipal. Les Sibériens amnistiés il y a quelques années ont été renvoyés en Sibérie « par mesure de précaution, » selon les termes de l’arrêt; parmi eux se trouvent M. Ehrenberg, un poète distingué, — M. Krajewski,. un des plus éminens critiques polonais, le plus modéré et le plus sensé des écrivains, l’auteur d’une remarquable traduction de Faust. Un nombre immense d’étudians, d’ouvriers, ont été envoyés au Caucase et à Orenbourg. Le grand-rabbin Meiselz, les rabbins Kramstuk et Iastrow ont été expulsés. Le pasteur évangélique Otho a été condamné à la déportation. Le chapitre seul de Varsovie a perdu dix de ses membres, notamment M. Stecki, le chanoine Wyszinski, celui à qui le général Lambert demandait des notes. Enfin n’a-t-on pas vu l’administrateur même du diocèse de Varsovie, un vieillard de quatre-vingts ans, M. Bialobrzeski, condamné à mort pour avoir fermé les églises après le 15 octobre, et détenu par grâce dans une forteresse, puis flétri dans son caractère par la publication d’une rétractation qui, si elle avait été faite réellement, rendrait bien plus inexplicable encore une condamnation à mort? Or, quand on voit cette multitude de peines, on se demande à quelle nature de délits et de crimes elles s’appliquent. Les proclamations et les arrêts le disent : ce sont des prières, des hymnes, des processions, un geste douteux fait en lisant une affiche officielle, des emblèmes nationaux, des vêtemens de deuil. Seulement il e.st bien vrai que dans ces chants, ces prières, ce deuil, il y a l’âme d’une nation attristée par l’excès des compressions, douloureusement éprouvée et non découragée même aujourd’hui.

C’est là justement ce qu’il y a de grave dans ces événemens d’une année éclatant tout à coup au moment où tout s’agite, où des problèmes si nouveaux viennent passionner la politique. De quelque façon qu’on les juge, ces événemens révèlent un peuple qui est apparu debout sans qu’on ait su comment, qui n’a trouvé qu’en lui-même le secret de ne pas mourir, de vivre au contraire d’une vie nouvelle et plus abondante. Ce qu’on voit dans ce drame, que l’imagination émue et exaltée d’un peuple teint, je le sais, de ses cou-