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teuse. Le plus clair était l’embarras, et sa politique le laissait trop bien voir par la confusion où elle flottait. A Varsovie, tandis que le prince Gortchakof faisait t1es concessions, ou jetait au comte Zamoyski un défi qui n’était point relevé, tandis que l’ordre était maintenu par le plus merveilleux accord de toutes les volontés, en attendant qu’une solution vînt de Pétersbourg, M. Muchanof, maître encore du ministère de l’intérieur, lançait une circulaire clandestine pour ameuter les paysans contre les propriétaires dans les campagnes, s’inspirant de la triste politique suivie par l’Autriche dans la Galicie. Ce fut par des Juifs que cette circulaire fat découverte, et elle excita une telle indignation que le prince Gortchakof fut bientôt obligé d’enlever le ministère de l’intérieur à M. Muchanof, qui partit de Varsovie hué par la population ; c’était dans tous les cas une étrange marque des contradictions persistantes de la politique russe dans .un moment où la sincérité eût été habile.

A Saint-Pétersbourg même, on ne savait que faire. On gagnait du temps ou l’on en perdait, et lorsqu’au dernier jour de mars l’empereur Alexandre se décidait à envoyer à Varsovie un plan de réforme, le mouvement national avait pris trop de consistance, les esprits étaient trop énergiquement excités, trop résolus pour qu’on pût se contenter de concessions timides, équivoques, qui ne répondaient plus à la gravité des circonstances. En quoi consistaient en effet ces réformes? Elles supprimaient, il est vrai, ces deux départemens du sénat qui siégeaient à Varsovie et qui étaient le signe de l’assimilation absolue de la Pologne à la Russie; elles promettaient l’élection de conseils provinciaux, de conseils de district, une organisation nouvelle de l’enseignement, la création d’une faculté de droit, plus de respect de la langue polonaise, et enfin elles appelaient à la direction de l’instruction publique un Polonais, le marquis Wielopolski. C’était quelque chose, quoique ce ne fût pas même la réalisation entière du statut de l’empereur Nicolas. Ce qui manquait au fond, c’était la garantie, la sincérité d’une politique sérieusement libérale, pratiquée par des hommes vraiment dévoués au pays et animés de son esprit. Malheureusement aux méfiances trop justes des Polonais la Russie répondait par un système qui était une contradiction permanente, et qui a invariablement consisté, pendant toute une année, à n’être jamais plus près d’une recrudescence de réaction que lorsqu’on parlait de concessions. Les concessions sont peur l’Europe, qui regarde; le fait reste le même et s’aggrave. En paraissant céder à ce mouvement tout-puissant d’opinion, on cherchait à le flétrir et à le représenter comme l’œuvre de quelques factieux incorrigibles. On semblait vouloir traiter avec cette nationalité renaissante, on publiait le 1er avril les réformes arrivées de Pétersbourg, et six