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fait est donc bien fait, je le maintiendrai... Mon règne sera la continuation du sien... En conservant à la Pologne ses droits et ses institutions tels que les lui a donnés mon père, j’ai la volonté inébranlable de faire du bien et de favoriser la prospérité du pays. Il dépend de vous de me rendre cette tâche possible. Vous seuls serez responsables, si mes intentions devaient échouer devant de chimériques résistances... » Et comme un des maréchaux de la noblesse semblait vouloir parler, l’empereur se tourna et reprit : « M’avez-vous compris? J’aime mieux être à même de récompenser que de punir; mais sachez, et tenez-le pour dit, messieurs, que, quand cela sera nécessaire, je saurai réprimer et punir, et on verra que je punirai sévèrement... » C’était au mois de mai 1856, presque au lendemain du congrès de Paris.

Ce n’est pas sans raison que j’évoque aujourd’hui ce souvenir d’une tentative inutile, d’une négociation interrompue par une promesse illusoire; il domine les événemens qui ont surgi depuis, de même que le débat du congrès de Paris a dominé les événemens d’Italie, et il met en quelque sorte au nœud de cette crise récente de la Pologne un acte de sympathie de l’Europe, un vœu intelligent, comme aussi il montre ce que la Russie a fait jusqu’au jour où la crise a éclaté. « Ce que mon père a fait est bien fait, » c’était là de la part de l’empereur Alexandre II une parole filiale peut-être, mais à coup sûr peu politique et peu prévoyante. Quel était effectivement cet ordre établi par l’empereur Nicolas et qu’on promettait de maintenir ? Je ne parle plus des garanties dont les traités de Vienne cherchaient à entourer une nationalité qu’ils livraient, je ne parie plus de la constitution de 1815, œuvre de l’empereur Alexandre Ier ; mais le statut accordé par l’empereur Micolas lui-même en 1832, ce statut qui était un châtiment, la rançon d’une défaite pour la Pologne, qu’en a-t-on fait? C’est M. Tymowski, un ministre d’état russe, qui l’a dit l’an dernier, au début des événemens, dans un rapport secret : ce statut même n’a jamais été ni abrogé ni exécuté. Des autorités nouvelles qu’il créait, conseils urbains, conseils de palatinats, assemblées provinciales « ayant le droit de délibérer sur les questions d’intérêt général du royaume, » aucune n’a existé jamais. Il devait y avoir aussi un conseil d’état: c’était probablement une institution trop révolutionnaire ou un signe trop visible d’autonomie; en 1841, le conseil d’état était simplement remplacé par deux départemens nouveaux, 9e et 10e, du sénat dirigeant de Pétersbourg transportés à Varsovie. En un mot, ajoute M. Tymowski, « on peut dire que depuis 1831, sans avoir égard aux promesses du statut, le royaume de Pologne a été livré complètement à la bureaucratie, et qu’il est resté sous l’influence exclusive des employés