Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/678

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plaidoyer aussi partial qu’agréablement tourné, Polichinelle est un méchant drôle et restera tel. Le plus beau de ces contes modernes et celui que les fées auraient le plus volontiers revendiqué est certainement celui où Mme Sand a raconté l’histoire du bon petit Gribouille. Le génie, qui agrandit et élève tout ce qu’il touche, a marqué de son empreinte ce récit sympathique et attristé. Le héros bafoué d’un proverbe populaire trivial est devenu le type des vertus de notre âge démocratique, et cela tout naturellement, sans enflure ni emphase d’aucun genre: mais la morale que prêche ce conte est bien haute pour le commun des enfans des hommes, il est probable que bien peu de ses petits lecteurs, après avoir lu ce récit, se sentiront d’humeur à imiter Gribouille et à se jeter dans l’eau par honneur et dans le feu par dévouement. Peu d’enfans sont en germe des Jeanne d’Arc, voire des chevaliers d’Assas. Nos anciennes fées, plus pratiques, leur recommandaient une morale moins pure et moins noble, mais plus sûre, et semblaient de cette opinion que le meilleur moyen de faire l’éducation de leur cœur était de leur représenter le bien comme le plus sur instrument de leur bonheur futur.

D’autre part, les fées étrangères ont fait invasion parmi nous; à l’éclat de leur splendeur nouvelle, le souvenir de nos anciennes fées a encore pâli. De même que la France est devenue le lieu de rendez-vous de tous les peuples du monde, l’imagination française a été envahie par une foule cosmopolite d’esprits étrangers de toutes mœurs et de tout caractère. Les érudits ont commencé l’œuvre en renversant les barrières et en effaçant les frontières nationales, en nous donnant la curiosité de connaître et de voyager; les poètes l’ont achevée en naturalisant et en couvrant de leur protection hospitalière les génies de race étrangère. Cette invasion a eu déjà ses résultats, car les quelques contes tout à fait féeriques qui aient été écrits en France de notre temps ne doivent absolument rien à ces traditions nationales que nous avons essayé d’établir et d’expliquer. Qui ne connaît par exemple le Beau Pécopin, où les esprits de toutes les nations et de tous les temps mènent leur ronde magique dans un paysage changeant, qui reproduit les aspects de toutes les contrées du globe? Ce grand révolutionnaire poétique, Victor Hugo, a opéré dans le merveilleux français la révolution la plus radicale qu’il eût jamais connue, car avec lui se sont introduites en France non-seulement les merveilles qui avaient toujours souri aux imaginations françaises, mais les merveilles qui lui répugnaient et qu’il avait toujours repoussées. Les goules et les vampires ont obtenu droit de cité comme les sylphes et les lutins, et les horreurs du sabbat, si antipathiques à la France, ont désormais alterné avec les danses légères des fées.