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tinguent. N’étant pas de même race que l’homme, elles lui restent toujours étrangères, et passent pour lui de la passion la plus ardente à l’oubli le plus cruel, et du dévouement le plus humble à l’ingratitude la plus coupable. Elles le rafraîchissent avec la brise, mais elles le tuent avec la rosée du soir; elles lui parlent avec la voix des forêts, mais elles l’empoisonnent avec leurs fleurs; elles le noient sous l’orage et le foudroient avec l’éclair, et aussitôt après elles se penchent sur son cadavre, innocentes homicides, radieuses et souriantes des couleurs de l’arc-en-ciel. Nos fées n’ont pas les dangereux caprices de ces étrangères. Bonnes ou mauvaises, elles président à nos destinées et nous accompagnent pas à pas depuis le berceau jusqu’à la tombe.

Étant donné le caractère tout humain de notre merveilleux, il faut à peine demander si la magie des influences sociales y joue un grand rôle. C’est là en effet à peu près la seule magie qui se laisse apercevoir dans les contes de la judicieuse Mme d’Aulnoy. Elle a très finement compris la puissance qu’exercent en notre pays ces forces toutes morales, subtiles comme l’esprit, mais invincibles comme lui, ces forces insaisissables, impondérables, qui s’appellent l’opinion, le préjugé, la faveur, la protection. C’est à juste titre que ces contes ingénieux portent pour titre : les Enchantement des bonnes et des mauvaises Fées. Les princes et les princesses, les pages et les chevaliers de Mme d’Aulnoy sont comme prisonniers dans une geôle élastique; les influences sociales bonnes et mauvaises les enlacent de leurs réseaux subtils et pèsent sur eux d’un poids d’autant plus lourd qu’ils n’aperçoivent pas le fardeau. C’est un tableau le plus souvent consolant, quelquefois comique, parfois aussi lamentable. Rien n’y peut égaler la douceur et la patience des bonnes fées, si ce n’est la perversité et la ténacité haineuse des mauvaises. Comme dans le monde, le pouvoir des bonnes fées est plus considérable que celui des mauvaises, mais il est beaucoup plus lent. Il leur faut des années pour détruire les enchantemens que leurs sœurs ont opérés en une minute. Les bonnes fées n’ont même d’autres moyens de lutter contre les méchantes que de satisfaire elles-mêmes aux exigences déraisonnables sous lesquelles succomberaient leurs protégés. C’est par là qu’elles les enlèvent à leur pouvoir, car à force de commander des choses absurdes qui sont toujours accomplies, les méchantes fées finissent par atteindre les bornes de leur pouvoir et par arriver à une dernière exigence qui ne peut être dépassée. Alors l’enchantement cesse forcément: mais si la méchante fée est modérée dans sa haine et qu’elle se contente d’opposer à la patience de sa sœur un mauvais vouloir sans cesse renaissant, la lutte peut être très longue. Dans ce cas, il arrive d’ordinaire que la bonne fée,