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leur physionomie et surtout leur accent? Ce sont des enfans de l’Ile-de-France, de la Champagne, de la Picardie. Rien chez eux ne trahit une autre patrie. Ils n’ont pas les dons brillans du midi, ni la tristesse douce et la foi naïve des provinces de l’ouest, ni la bonhomie crédule et quelque peu lourde des provinces du centre, ni la physionomie légèrement rêveuse et exotique des provinces de l’est. Regardez-les; ils sont bien enfans de ces provinces dont le caractère se compose d’un ensemble de qualités secondaires bien équilibrées, et dont le génie consiste dans l’acutesse du bon sens. Ils sont vifs, enjoués, narquois, un peu sceptiques. Ils bégaient dans leur gracieux babil enfantin ce même langage où la raison française a trouvé son expression la plus populaire, sinon la plus élevée, ce langage net, clair, économe des pompes du style, inaccessible aux superstitions de la rhétorique, qu’ont parlé La Fontaine, Molière, Voltaire. Ces contes ne représentent donc pas absolument le merveilleux français, mais seulement une partie de ce merveilleux; la Provence, la Bretagne, la Vendée, même le Berri et l’Auvergne auraient offert au conteur des merveilles plus vraiment féeriques. Malheureusement les fées de ces provinces n’ont pas trouvé leur Perrault, et étant donnés les âges de moins en moins naïfs dans lesquels nous sommes entrés, elles ne le trouveront probablement jamais plus.

Si je ne craignais de prolonger ce commentaire, je me plairais à rassembler ces mille petits détails dans lesquels apparaît si familièrement la vie de la vieille France, et qui d’un toucher espiègle et délicat éveillent doucement l’imagination du lecteur sensible à la poésie du passé. Je ne saurais faire comprendre l’intérêt singulier que j’ai pris à apprendre que des deux frères de la femme de Barbe-Bleue, l’un était dragon et l’autre mousquetaire. Qui sait sous quel capitaine ils ont servi, et s’ils n’étaient pas à Rocroy ou à Lens? Où retrouverait-on aujourd’hui la vieille fileuse de la Belle au bois dormant ? Elle file paisible dans son grenier, sans que jamais les édits du roi qui défendaient de se servir du fuseau soient parvenus à ses oreilles, et Dieu sait pourtant si ces édits avaient été criés à son de trompe; mais les nouvelles marchaient si lentement dans ces époques, qui ne connaissaient ni les journaux, ni le télégraphe électrique, ni les affichages multipliés, qu’elles se perdaient souvent en route. Quel rusé secrétaire des princes et des grands sera cet ingénieux Petit-Poucet, et quel curieux échantillon de l’aventurier français que ce matou rustique et ce guetteur de haies qui n’a pour faire son chemin dans le monde qu’une paire de bottes, un lacet et le don de la parole?

Parmi ces contes, il en est un, le seul dont on n’ait trouvé l’ana-