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on les cherche, tandis que dans les contes de Perrault on les sent toujours présentes, quoiqu’elles n’apparaissent presque jamais. Les fées de Mme d’Aulnoy ne sont réellement des fées que pour les imaginations de la première enfance. Ce sont des fées et des génies à titres nobiliaires, à brevets, à diplômes. Il semble que si l’on était honoré de leurs dons, on ne pourrait se dispenser de leur écrire un billet pour les remercier de leur bonté.

Ces défauts cependant sont encore habilement dissimulés par l’esprit ingénieux et le bon goût de Mme d’Aulnoy. Si ses contes ne sont pas des féeries, ce sont au moins d’aimables allégories, exemptes de pédantisme, écrites d’une plume libre qui se contente de donner des leçons sans appuyer ni insister lourdement; enfin ils sont bien de l’époque où ils ont été écrits, et portent la marque d’une bonne école littéraire. Passez à une époque moins saine et de goût moins pur, et ces défauts encore dissimulés vont vous apparaître tout à fait choquans. L’intelligence du merveilleux est médiocre chez Mme d’Aulnoy; elle est nulle chez Mme Leprince-Beaumont. Plus rien de féerique, nulle fantaisie, nul caprice : l’allégorie toute sèche, la moralité toute nue; des fées qui ont une physionomie de gouvernantes scrupuleuses, des génies qui ont un air de précepteurs sévères et justes. Cette dernière étincelle qui brillait encore dans les contes de Mme d’Aulnoy s’est éteinte dans ceux de Mme Leprince-Beaumont; ses contes sentent le voisinage de l’Encyclopédie, de la morale philosophique, du règne de la raison utilitaire. Ils se proposent d’instruire, et ils le disent; ils ne laissent rien supposer ni deviner, mettent la leçon qu’ils veulent donner en pleine lumière, posent des prémisses, tirent des conclusions, en sorte que s’ils brillent par quelques qualités, c’est par les qualités les plus contraires au génie du conte et de la poésie. Et pourtant que de jolis contes on aurait pu faire avec quelques-uns de ces récits, avec la Belle et la Bête par exemple, qui est resté célèbre et qui méritait de devenir un chef-d’œuvre, ou avec le Prince Désir qui tourne court d’une manière désenchantante, mais qui contient une idée vraiment comique! De tous les contes écrits en France, les seuls qui aient quelque chose à démêler avec le merveilleux, qui portent la marque authentique de la poésie, sont donc les contes de Charles Perrault; les autres font plus d’honneur à la raison de la France qu’à son imagination.

Et cependant, même chez Perrault, le merveilleux est bien modeste et occupe une bien petite place. Les fées sont singulièrement rares dans ses récits. On en compte jusqu’à trois : la marraine de Cendrillon, la marraine de Peau-d’Ane, et la bonne vieille du conte des Fées. Deux ogres, c’est-à-dire deux personnages appartenant à