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tences de ceux qu’elles honorent de leur attention capricieuse, ou dont elles ont reçu quelque bienfait. Est-il trop téméraire de voir, sinon des fées, au moins des sœurs de fées dans les nymphes et les déesses rustiques de l’antique Grèce? Quel que soit le nom qu’on leur donne, voyez ce qu’elles sont devenues au contact du peuple le plus libre et le plus sociable qui fut jamais. Comme les fées, les nymphes représentent les forces secrètes de la nature; mais la protection des dieux hellènes et la compagnie des jeunes Grecs les délivrèrent bientôt de la fatalité qui les enchaînait. Elles échappèrent bien vite à leur prison liquide ou secouèrent leur geôle d’écorce pour devenir des personnes morales, douées de passion et de tendresse, ne demandant, elles, les immortelles, qui résistaient parfois aux dieux, qu’à enchanter l’existence de quelque bel adolescent, honneur du gymnase, ou de quelque petit pâtre à la lèvre harmonieuse. Mais là où leurs instincts sociaux et humains se sont développés dans toute leur plénitude, c’est parmi les nations de race celtique, et spécialement en France. Là elles n’ont pas seulement aimé la société de l’homme, elles se sont enchaînées à ce point à ses destinées, qu’elles se sont transformées selon les vicissitudes de son histoire. Tandis que les fées allemandes, par exemple, ont aujourd’hui exactement les mêmes mœurs qu’autrefois, les fées françaises, bien plus anciennes qu’elles, ont trouvé moyen de changer cinq ou six fois de caractère. Tour à tour on les a vues prophétesses et druidesses, châtelaines féodales, dames des bois et dames de cour; mais sous ces costumes divers elles portent le même cœur sensible et humain. En changeant de condition, leur puissance n’a augmenté ni diminué, car dès le premier jour elles étaient de hautes et puissantes personnes à qui la fortune et le temps ne pouvaient plus rien donner.

On les voit à l’origine, graves, sérieuses et savantes, errer sous les forêts celtiques. Ce sont des prophétesses et des voyantes. Elles connaissent l’herbe d’or et les vertus du trèfle magique, les secrets des pierres et les breuvages qui donnent l’immortalité et la science universelle. Elles seules sont riches dans ces temps de barbarie et de pauvreté générales; elles boivent dans des coupes d’or et habitent des palais étincelans de pierres précieuses; puis, les temps ayant changé, elles deviennent des princesses, des chasseresses et des châtelaines féodales. Parfois on les voit déboucher à l’improviste du coin d’un bois, brillantes et nocturnes amazones, suivies de leur cour gracieuse. Elles hantent les palais et conversent familièrement avec les rois, qu’elles honorent de leurs conseils et de leurs dons. Quelquefois aussi elles s’éprennent d’amour pour un chevalier, et alors elles ressentent toutes les douceurs et toutes les amertumes de la passion, comme les plus faibles des femmes. Elles sacrifient tout