Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/661

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elles ont régné paisiblement sur la Bretagne; mais un jour le christianisme est venu établir ses chapelles près de leurs vieilles forêts et de leurs dolmens druidiques. On les a invectivées, exorcisées, traitées d’esprits maudits et de filles de Satan; alors elles se sont retirées et se sont vengées de leur déchéance en jetant des sorts, en enlevant des enfans et en s’associant aux bandes malicieuses des nains. Elles sont encore adorablement belles dans leur déchéance, seulement elles n’aiment plus qu’on les voie; elles chantent encore délicieusement, mais ce n’est que pour elles seules, pour tromper les ennuis de leur solitude, et non plus pour remplir de doux rêves les âmes des enfans des hommes; elles sont toujours riches, mais elles sont devenues dures et avares à ce point que non-seulement elles ne livrent rien de leurs richesses, mais que quiconque les surprend comptant leur trésor est sûr de périr. Dans leur ressentiment, elles ont montré l’exagération de sensibilité et la rancune invétérée des femmes offensées, si bien que le paysan breton, qui se rit des nains et qui les met en fuite avec une oraison ou une goutte d’eau bénite, tremble au seul nom des fées, qu’il sait beaucoup plus implacables. Elles n’ont pu pardonner d’avoir été humiliées.

Voyez au contraire comme leur éducation a été rapide, lorsqu’elles se sont trouvées dans un milieu conforme à leur nature et chez un peuple qui sut comprendre leurs goûts et leurs aptitudes. Le pays qui fut leur berceau indique assez leur caractère et leurs penchans. Un savant en ethnographie dirait qu’elles sont de race aryenne et qu’elles appartiennent à la grande famille des peuples indo-germaniques; je me contenterai de dire qu’elles naquirent en Perse, chez ce peuple spirituel, subtil et voluptueux, le plus fin de l’Asie, et qu’on a nommé les Français de l’Orient. Elles sortirent de ces essaims d’esprits élémentaires que fit éclore la doctrine du dualisme, et obéirent aux enchantemens et aux invocations des mages. Là elles passèrent leur longue et voluptueuse enfance jouant dans la lumière d’un air sec et pur et s’enivrant de parfums auprès des maisons peintes et des kiosques légers: puis, s’envolant par bandes gracieuses, comme des troupes d’oiseaux voyageurs, elles s’abattirent dans toutes les contrées avoisinantes, ou bien, invisibles, elles firent route avec les voyageurs et les étrangers, qui les emportaient avec eux, sans le savoir, dans un pli de leur robe, dans une fissure de leur turban, et qui les secouaient ensuite avec la poussière apportée de l’Iran là où ils s’arrêtaient. Aimées de toutes les populations rêveuses et Imaginatives de l’Orient, bien accueillies à leurs foyers et sous leurs tentes, protégées par la loi tolérante de l’Islam, elles se sont montrées reconnaissantes et généreuses. On les voit, prodigues de trésors, de dons et de rêves, enchanter les exis-