Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/659

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une lumière argentée, douce et égale. Elles ne redoutent pas l’éclat du jour, et rendent parfois leurs visites en plein midi; mais elles ont une prédilection particulière pour ces heures du crépuscule où, dans une lumière baignée d’ombre, elles rencontrent leurs cousins et leurs frères, les sylphes et autres enfans de l’air. Leurs lieux de rendez-vous sont toujours choisis avec bon goût : une fontaine limpide, une clairière s’ouvrant sur une prairie, les places des forêts où les arbres sont plus verdoyans et les tapis de mousse plus abondans et plus riches. Leurs mœurs, sans être exemplaires, sont exemptes d’actions noires et criminelles; malicieuses sans être méchantes, perfides sans être perverses, capricieuses, égoïstes, leurs défauts ne sont, à tout prendre, que les excès de leurs qualités, car elles sont affectueuses et sociables, et ne supportent la solitude que lorsqu’elles ne peuvent pas faire mieux. Elles aiment à aimer et à être aimées; c’est là la source des quelques mauvaises actions qu’on leur reproche. Il est arrivé par exemple à quelques-unes d’entre elles d’enlever un chevalier et de le confisquer à leur profit, à d’autres de retenir plus longtemps que son devoir ne le lui permettait un paladin ou un trouvère, à d’autres encore de tromper un amant sur leur âge véritable, ou d’initier un page aux mystères amoureux, ou même (l’intrigue ne leur déplaît pas) de fournir les talismans et les breuvages qui devaient faire triompher une passion coupable; mais ces choses se sont vues ailleurs que chez les fées, et on ne peut leur reprocher bien vivement ce qu’on excuse dans notre monde.

Il est remarquable aussi que les fées ne forment pas, à proprement parler, une caste comme les autres esprits invisibles, mais une libre société, qui-n’a d’autre aristocratie que celle qui résulte des habitudes élégantes de l’esprit et des privilèges de la nature. Elles sont de conditions très diverses, et n’ont de commun entre elles que l’esprit, le bon goût et le don des enchantemens. Il y en a qui sont princesses, et auxquelles il ne coûte rien de répandre l’or et les diamans; d’autres sont de simples bourgeoises avisées et de bon conseil; d’autres ont une physionomie rustique, toute brillante de l’éclat des fleurs des champs, et leurs historiens spéciaux nous en présentent même quelques-unes qui sont ce que nous appellerions de simples grisettes, patientes, discrètes, reconnaissances, moins puissantes que leurs sœurs, et soumises, hélas! aux embûches et aux sortilèges des méchans enchanteurs, mais arrivant à leurs fins à travers tous les obstacles par la puissance du don qui est en elles. Cette démocratie aristocratique ou cette aristocratie démocratique, comme on voudra l’appeler, ne s’est jamais rencontrée que chez les fées. Rien de pareil n’existe chez les autres esprits élémentaires