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tiste, répondit en se redressant le signor Barboso ; mais je ne me séparerai pas de mon cher Fabricio. Et vous, qui êtes le soutien, la providence des malheureux, noble demoiselle, vous ne refuserez pas à un vieillard blanchi sous le harnais la douce satisfaction de finir sa vie dans une paisible retraite. Que me faut-il ? Une petite place dans un coin de la maisonnette que vous donnez à mon élève. Quant à lui, je le sais, il ne rejettera pas ma prière ; il sera jusqu’au bout l’ami fidèle, le compagnon dévoué du vieux Barboso… Mademoiselle, laissez-moi, je vous en conjure, terminer mon existence à l’ombre de vos bienfaits ! Ma famille a possédé, elle aussi, des châteaux… en Bohème ! Il y a du sang de patricien dans les veines de celui que le sort a réduit à vous parler aujourd’hui en suppliant…

— Calmez-vous, monsieur, repartit Mlle Du Brenois ; patricien ou non, je ne vois pas d’inconvénient à ce que Valentin vous offre un asile sous son toit. La reconnaissance est une vertu qui honore celui qui la pratique. J’avais un devoir à remplir vis-à-vis de ce jeune homme ; la Providence me met à même de m’acquitter de ce devoir : le reste ne me regarde plus.

Le signor Barboso s’inclina devant Mlle Du Brenois avec une majesté théâtrale. Sous une apparence de dignité calme, il dissimulait la joie qu’il ressentait d’avoir associé son sort à celui de son élève. Il ne lui restait plus qu’à se préparer à entrer dans la nouvelle existence ouverte devant lui. Dès le soir de cette heureuse journée, il s’occupa de vendre ses chevaux et tout le matériel de son établissement. L’argent qu’il retira de cette vente lui fournit les moyens de payer sa troupe. Les sujets qui la composaient se dispersèrent aux quatre vents du ciel, contens d’avoir pu réaliser quelques bénéfices au service d’un maître ruiné. Quand toutes ses affaires furent terminées, le signor Barboso partit avec son fidèle Fabricio, qui renonça dès ce jour à son nom d’emprunt pour reprendre celui de Valentin. Mlle Du Brenois avait déjà quitté la petite ville de Port…, les pluies continuelles ne lui permettant plus de prendre des bains de mer.

La maisonnette bâtie à l’entrée de l’avenue du château des Roches ravit de joie les deux voyageurs par son aspect riant et pittoresque. Elle semblait dire au passant : N’allez pas plus loin ; vous trouverez ici la paix du cœur. Valentin s’occupa immédiatement de bêcher le petit jardin, charmant enclos bordé d’une haie vive toute peuplée d’oiseaux qui gazouillaient à l’envi comme pour saluer son retour au pays natal. Il travaillait avec ardeur du matin au soir, libre de tout souci ; son existence passée était devenue pour lui comme un rêve. Ce ne fut pas sans attendrissement qu’il revit la fermière du Cormier, la mère Jeanne, courbée par l’âge et prési-