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l’argent des recettes. Le hasard avait amené là, sur le même champ de foire, une autre troupe équestre, nombreuse, florissante, qui attirait beaucoup de monde par son orchestre, composé de quinze musiciens habillés en Hongrois. On la nommait la troupe allemande, il s’agissait de lui tenir tête. Valentin redoublait de zèle et d’activité. Pour dissimuler aux spectateurs l’insuffisance du personnel dont disposait le signor Barboso, il paraissait trois et quatre fois chaque soir sous des noms et sous des costumes différens.

— Fabricio, — c’était son nom de guerre, — Fabricio, mon ami, lui dit un soir le signor Barbosa, tu vois ce que peut faire l’éducation !… Qu’étais-tu lorsque je t’ai recueilli sous ma tente ? Un paysan, rien de plus. Aujourd’hui ta place est marquée parmi les artistes ! On t’applaudit à tout rompre.

— C’est vrai, répondit Fabricio ; les autres savent à peine se tenir debout sur leur selle ! Tous ceux : qui étaient avec vous ont déserté depuis longtemps ; je suis le plus fort de la troupe et le plus ancien. Je n’ai pourtant que seize ans !

— Seize ans ! Quel avenir s’ouvre devant toi, mon ami !

— En attendant, reprit l’écuyer, je ne touche pas d’appointemens !

— Des gages, des appointemens, des honoraires ! reprit le signor Barboso, ils en sont tous là ; c’est au public qu’il faut les demander, et non pas à moi. La concurrence m’a forcé à baisser les prix d’entrée. Et les billets de faveur, et les frais !… Mais à ton âge les applaudissemens me tenaient lieu de tout !

— Les applaudissemens font plaisir, j’en conviens ; mais enfin je m’ennuie d’avoir toujours le gousset vide. Mes vêtemens sont usés jusqu’à la corde…

— Tes vêtemens ! reprit le signor Barboso en croisant avec dignité son carrick sur sa poitrine. N’as-tu donc pas un costume tout neuf pour la nouvelle pantomime ? N’ai-je pas fait remettre une paire d’ailes à ta tenue de zéphyr ?

— Mes vêtemens de ville sont en lambeaux, reprit vivement Fabricio.

— À quoi bon des vêtemens de ville, jeune homme ? répliqua le vieux bohémien. La foule vous envie ces riches costumes de divinités, ces habits aux paillettes éblouissantes, ces vastes pantalons de mamelouks que je vous fournis à profusion. Et vous, poussés par l’esprit de contradiction, vous enviez à la foule ses paletots disgracieux, ses chapeaux informes !… Enfin, si tu veux absolument une redingote, je te donne l’habit de Cassandre qui est dans le vestiaire ; fais-le arranger à ta guise : aussi bien je n’en ai plus besoin ; le goût des arlequinades est passé…

— Non, non, dit Fabricio ; je ne veux plus de vos défroques, j’en