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es-tu bien sûr que tes parens ne courront pas après toi pour te réclamer ?

— Je n’ai plus de parens, répondit Valentin.

— Bravo, bravissimo !… Vagabond et orphelin, tout est au mieux. Partons vite… Tu sais te tenir à cheval, n’est-ce pas ? Eh bien ! monte Cabrito, ce petit cheval noir à longs crins que tu vois là, et marche à mes côtés.

Cabrito était un de ces petits poneys espiègles qui remplissent les rôles comiques dans les intermèdes équestres. Quand il sentit sur son dos le cavalier aux courtes jambes dont il ne reconnaissait pas la main, il se mata, hennit et lit un saut de mouton. Valentin, désarçonné par ce brusque mouvement, roula sur la poussière ; mais, comme il était courageux, il se remit en selle sans prendre garde aux éclats de rire que sa chute avait provoqués. Le malin poney, satisfait d’avoir joué ce mauvais tour au petit paysan, le laissa remonter sans témoigner de mauvaise humeur, et suivit en piaffant la longue caravane qui se déroulait sur la grande route avec une solennelle lenteur. À partir de ce moment, Valentin et Cabrito vécurent dans une parfaite amitié.

À la halte du soir, Valentin échangeait ses habits de paysan contre un costume de fantaisie mieux approprié à sa nouvelle condition. Un feutre pointu couvrait sa tête blonde, il avait endossé une veste gris de fer toute bariolée de galons, et ses pieds se perdaient dans de vastes bottines de maroquin rouge. La petite Rosette, qui était pourtant bien avisée, n’aurait pu le reconnaître sous ce travestissement. Il ne restait plus rien du petit pâtre chercheur de nids, pas même son nom de Valentin : dans la troupe, on l’appelait Fabricio. Décidément le protégé de Mlle Du Brenois était lancé dans la vie nomade, dont le charme consiste trop souvent à courir de déceptions en déceptions à la recherche d’un bonheur chimérique.

« Chien qui court trouve des os, » dit un proverbe turc. Cela est vrai peut-être ; mais il est permis d’ajouter : « Chien errant reste toujours maigre. » Il en était ainsi du signer Barboso. Depuis trente années déjà, il parcourait la France à la poursuite de la fortune, qui s’obstinait à le fuir, toujours gueux, toujours réduit à vivre d’expédiens. À l’époque où Valentin fit sa rencontre, des symptômes de décadence commençaient à se manifester parmi cette troupe que le naïf enfant croyait si brillante. Après avoir donné un petit nombre de représentations dans une ville, elle décampait furtivement, laissant presque toujours des dettes derrière elle. Souvent aussi de violens orages éclataient dans le sein de cette compagnie, que le hasard seul avait réunie sous la bannière de maître Barboso. Les premiers sujets, entraînés par l’ambition ou ennuyés