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guer ce précieux serviteur au dernier rang de nos écuries : son manque d’élégance, son cri discordant, le préjugé populaire, enfin la tendance fâcheuse que nous avons toujours à mépriser ce qui est patient et à abuser de ce qui est bon. Il ne faut donc point s’étonner si, privé des soins qui auraient pu l’améliorer et ne trouvant guère en France la chaleur qu’il aime et dont jouit sa patrie primitive, l’âne des races vulgaires reste chez nous un animal de beaucoup inférieur à l’âne de l’Orient. Ce n’est que dans les provinces où la production des mulets lui donne une grande valeur que nous voyons l’âne parvenir à une taille élevée. Le Poitou et la race asine du Poitou sont encore, chez nous, le pays mulassier et la race mulassière par excellence. C’est là que se trouvent les plus beaux animaux. Les mâles de prix y sont toujours ceux que recouvre le poil le plus abondant. Pendant notre dernière exposition d’animaux reproducteurs, le public étonné s’arrêtait avec une curiosité soutenue devant les stalles de ces gros étalons qui, velus comme des ours, semblaient, par le mauvais état de leurs jambes crevassées et la saleté de leur robe, vouloir protester contre l’excessive coquetterie de leurs voisins. Eh bien! ces bêtes si laides en apparence, que plus de soins et un peu plus d’exercice rendraient encore meilleures et mieux portantes, représentaient l’élite de nos ânes du Poitou, les pères de ces mules gracieuses que viennent chaque année nous acheter si cher tant de pays lointains. Peu d’hommes se doutaient, avant cette exposition, qu’une telle valeur pût se cacher sous de tels dehors, et qu’un baudet pareil se payât depuis 2,000 jusqu’à 10,000 francs.

L’âne est apte à la reproduction dès sa troisième année, et il conserve sa puissance jusqu’à l’âge de quinze ou seize ans, mais il est moins sûrement prolifique que le cheval. L’ânesse porte son petit plus longtemps que la jument, de onze à douze mois, et elle n’est pas aussi facilement féconde; enfin elle donne bien plus souvent le jour à des femelles qu’à des mâles. Toutes ces circonstances, réunies à la délicatesse assez grande de l’ânon, expliquent donc le haut prix que conservent les ânes de choix dans les pays mulassiers.

L’industrie de l’homme ne se contente pas de ces deux auxiliaires. Entre l’âne et le cheval, elle conserve un intermédiaire, le mulet, dont la force plus développée que celle de l’âne, dont la sobriété et la vigueur de constitution, plus grandes que celles du cheval, sembleraient à première vue devoir multiplier considérablement l’emploi. On ne suppose pourtant pas qu’il existe en France plus de 350,000 mulets. Non-seulement les mulets sont moins nombreux que les ânes, mais encore ils sont plus irrégulièrement dispersés sur