Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/588

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de constater dans celles-ci la quantité exacte de viande que consomment les hommes, et qu’à notre avis on doit supposer plus grande aujourd’hui qu’on ne le croit généralement. Quoi qu’il en soit, sous l’influence d’une consommation sans cesse croissante, le prix de la viande de bœuf, qui en 1850 valait 95 centimes le kilogramme au marché des Prouvaires, est monté en 1860 à 1 franc 24 centimes. L’augmentation considérable que signalent ces prix ne s’est pas produite à Paris seulement et pour la chair du bœuf; elle a eu lieu partout et pour toutes les viandes. On doit donc conclure, même en tenant compte des autres causes de renchérissement, que plus de bien-être matériel a heureusement pénétré dans la vie des populations, et que, contrairement aux sinistres prédictions des protectionistes, les facilités accordées depuis un certain nombre d’années à l’introduction en France du bétail étranger n’ont pas nui le moins du monde à la vente du bétail français. En 1859, année dont les comptes sont les derniers que nous ayons sous les yeux, l’excédant de l’importation sur l’exportation n’a été que de 49,842 bêtes bovines adultes (les taureaux non compris), 25,482 veaux, 396,816 bêtes ovines et 111,386 bêtes porcines, ce qui, comparativement à notre consommation annuelle, est assez peu de chose. En effet, la chair des animaux, soit vivans, soit fraîchement tués, ne se transporte pas sans dépenses et sans accidens, et puis elle ne peut se produire ni partout ni très vite. Pour faire de la viande mangeable, il faut plusieurs années. Or les libertés que l’on accorde au commerce ne tardent pas à relever dans les pays voisins, où d’ailleurs les mêmes causes entraînent les mêmes conséquences, la valeur vénale du bétail; d’où il résulte que, les prix d’achat s’équilibrant bientôt dans les divers centres de production et les frais de transport augmentant avec la distance, il faut toujours en revenir à compter pour la plus forte part sur les ressources du pays même.

Nous ne voulons cependant pas prétendre, en parlant ainsi, que la masse énorme de bestiaux livrés chaque année à la boucherie soit encore en rapport avec les vrais besoins de toutes nos populations. La viande est nécessaire à la parfaite alimentation des hommes, et ni le lait ni le fromage n’introduisent dans leur nourriture une quantité assez forte de substances animales. Pour remédier au déficit que tout le monde signale, plusieurs écrivains ont dernièrement insisté sur l’emploi de la viande de cheval. On pourrait sans doute manger certains animaux dont actuellement nous n’employons pas la chair à notre nourriture; cependant il est difficile de modifier les usages alimentaires des populations. D’ailleurs nous usons, nous abusons même du cheval comme bête de travail jusqu’à son dernier jour. A part un très petit nombre d’animaux tués par accident en plein