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des pays pauvres, dont les cultivateurs manquent de capital, dont les chemins sont mauvais, en pente rapide, dont le sol est difficile à labourer, dont les fourrages se composent principalement d’herbes marécageuses ou d’espèces médiocres. Là domine le bœuf sobre, patient et fort, qui seul peut bien vivre et bien travailler dans de telles conditions. Les montagnes de l’Auvergne, les marais de l’Aunis et du Poitou, les coteaux arides des Cévennes et du Languedoc, beaucoup d’autres pays encore, ne peuvent guère renoncer au bœuf. On le retrouve cependant aussi dans les riches plaines de la Flandre et du Cotentin, dans toutes les industrieuses campagnes où la culture des racines a pris un large développement; mais le bœuf n’y est plus le travailleur exclusif du pays : il y vit à côté du cheval, utilisant les résidus de sucrerie, de distillerie, de féculerie, et les alimens aqueux dont celui-ci ne saurait se contenter. Tels sont les avantages du bœuf, et l’on voit qu’ils sont nombreux. En revanche, il lui faut un conducteur spécial, habitué dès longtemps à ses paisibles allures, respectant ses besoins et ne le surmenant pas; entre les mains des hommes qui n’ont jamais labouré qu’avec des chevaux et qui se croiraient déshonorés en échangeant contre l’aiguillon du bouvier le fouet qu’ils aiment tant à faire claquer, le bœuf serait exposé à de nombreux accidens. D’ailleurs, si celui-ci laboure mieux, grâce à la régularité un peu lente de son pas et à la persévérance avec laquelle il surmonte les obstacles, le cheval, dont les mouvemens sont plus vifs, fait un meilleur hersage et sait mieux se tirer du bourbier où il vient accidentellement de s’engager. La terre est-elle gelée, le pied du cheval est plus sûr, La forte chaleur et le froid excessif l’incommodent moins que le bœuf, qui ne sait pas les supporter. Si le cheval a des impatiences, il a la rapidité, et il peut à l’occasion, pour donner plus de temps au travail, abréger la durée de son repas. C’est donc lui qui, dès que la route est passable, se prête à marcher vite et à opérer plus promptement une rentrée de récoltes que menace l’orage; c’est encore lui que son maître pourra transformer en bête de selle ou de cabriolet pour se rendre au marché voisin. Aussi son activité le fait-elle substituer au bœuf en tout pays où les progrès de la culture améliorent les chemins, rendent les terres moins tenaces, exigent un travail quotidien plus rapide, car le cheval devient ruineux s’il ne compense point par un labeur incessant la cherté de son entretien. Dès que les travaux sont interrompus par des chômages fréquens ou longs, c’est au bœuf qu’il faut revenir, parce qu’il utilise à faire de la viande les jours de repos qu’on lui accorde. Ainsi, dans les montagnes, dans les pays pauvres à fourrages marécageux, à travail irrégulier, le bœuf; dans les pays de culture meilleure, le cheval; enfin le bœuf et le cheval dans les contrées nue la nature ou l’industrie hu-