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ce commerce entre les deux colonies, les Hollandais et les Anglais faisaient une contrebande qui consistait à introduire au Pérou des étoffes chinoises qu’on déclarait d’origine mexicaine. Un autre gouvernement eût cherché et eût trouvé, ce qui ne paraît pas bien difficile, le moyen direct d’empêcher le commerce interlope des Anglais et des Hollandais, puisqu’on le réprouvait. Le conseil des Indes agit différemment. Pour couper court à la contrebande, il limita les expéditions du Mexique au Pérou à deux navires, qui ne pouvaient charger des étoffes pour plus de 200,000 ducats (600,000 francs). Plus tard, on réduisit le chargement à des tissus de qualités déterminées, et à la fin, pour simplifier, on prohiba absolument le trafic entre les deux colonies. Le Pérou de son côté envoyait des vins dans d’autres colonies espagnoles, dans la capitainerie générale de Guatemala notamment; sans doute on avait fait au Pérou la faveur d’y autoriser la culture de la vigne et la vendange, qu’on interdisait ailleurs. Ces vins étaient recherchés par la population indienne. On avisa que c’était une boisson trop ardente et que les Indiens en faisaient de trop fortes libations, au point de s’enivrer. Par intérêt pour les Indiens, les vins du Pérou furent prohibés dans la capitainerie générale de Guatemala.

Des fabriques de tissus s’étaient élevées, nous l’avons dit, dans quelques-unes des colonies, au Mexique plus particulièrement, parce que les bras s’y offraient en plus grande abondance; mais la pensée de protéger les Indiens vint se mettre en travers. On représenta les abus que les chefs d’industrie se permettaient ou pourraient se permettre vis-à-vis de la population indigène qui travaillait ou travaillerait dans ces manufactures. En conséquence, par des lois successives, le conseil des Indes en gêna l’établissement. On donna à l’autorité locale le pouvoir de les fermer quand elle croirait en avoir des motifs suffisans, tirés de l’intérêt des Indiens. En pareil cas, les vice-rois et les audiencias étaient autorisés à faire démolir la fabrique et à soumettre personnellement les fabricans à des peines. On conçoit que, dans des conditions pareilles, les hommes industrieux durent être peu portés à ériger des fabriques.

Sans être trop enclin à mal penser de son prochain, on peut croire que le conseil des Indes, quand il traçait de telles lois, n’était pas indifférent à la pensée d’assurer un débouché aux vins ou aux tissus de la Péninsule, et que pour plusieurs de ses membres l’intérêt des Indiens n’était qu’un prétexte. Il y a cependant tel fait qui semblerait autoriser la dénégation qu’oppose à cette appréciation M. Lucas Alaman. Suivant lui, le principal, l’unique mobile de ces mesures restrictives, ou, pour parler plus franchement, despotiques, c’était la bienveillance qu’on éprouvait pour les Indiens, ainsi que le por-