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méprisé, avili, presque sans propriété et sans espoir d’améliorer son existence? Il est attaché à la vie sociale par un lien qui ne lui offre aucun avantage. Qu’on ne dise point à votre majesté que la crainte seule du châtiment doit suffire pour conserver la tranquillité dans ces pays; il faut d’autres motifs, il en faut de plus puissans. Si la nouvelle législation que l’Espagne attend avec impatience ne s’occupe pas du sort des Indiens et des gens de couleur, l’influence du clergé, quelque grande qu’elle soit sur le cœur de ces malheureux, ne le sera pas assez pour les tenir dans la soumission et dans le respect dus à leur souverain. »

A l’égard de la population blanche qui s’était peu à peu développée au Mexique comme dans les autres royaumes américains des souverains espagnols, on avait adopté des règles qui avaient paru savantes et habiles, mais desquelles toute liberté publique était absente. Chacun des états de l’Europe qui avaient fondé de grands établissemens dans le Nouveau-Monde les avait modelés sur ses propres institutions. Ainsi, dans les colonies anglaises, le génie de la mère-patrie, qui ne peut se passer des assemblées délibérantes, avait obtenu satisfaction. Rien de pareil n’existait dans les colonies espagnoles. Nulle part en Amérique on ne maintenait dans une pareille nullité politique les habitans d’origine européenne; c’est qu’aussi nulle part en Europe l’exercice du pouvoir absolu n’était porté au même point que dans la Péninsule. Aucun gouvernement ne professait et ne pratiquait à ce point l’opinion que les peuples sont essentiellement des mineurs, et que l’exercice de leur libre arbitre est contraire au droit du souverain, funeste à leurs propres intérêts, si même ce n’est une sorte de rébellion contre la divine Providence. Certes en France, depuis Louis XIV, le pouvoir absolu existait, de la façon la plus blessante pour le bon sens et pour la dignité des peuples, dans les formules du gouvernement et dans sa pensée avouée ou secrète. La finale des édits des rois, car tel est notre bon plaisir, fournit, avec diverses maximes que les historiens ont recueillies, la preuve de l’idée, exagérée jusqu’à l’absurde, que le gouvernement royal s’était faite de sa prérogative; mais le pouvoir absolu du roi de France était tempéré non pas seulement par les chansons comme on disait alors, mais aussi par un certain ressort de l’opinion que les parlemens, malgré leur courte vue, ne contribuaient pas peu à entretenir, et par l’imperturbable effort des écrivains. En Espagne, l’inquisition avait brisé toutes les résistances et organisé dans les régions de la pensée le silence des tombeaux. Le seul hommage que reçût dans la Péninsule la liberté humaine, c’étaient quelques protestations qui restaient enfouies au fond de l’âme ulcérée des hommes généreux.

La politique du gouvernement espagnol au Mexique, comme dans