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plupart des observations qu’il prétend réfuter. Que dit en effet l’auteur lui-même ? Est-ce qu’il ne convient pas de ce qu’il veut bien appeler « les tâtonnemens et les maladresses de la censure, » de ce qu’il y a de redoutable dans l’héritage laissé par l’empereur Nicolas à son successeur, de l’existence « d’une bureaucratie corrompue, » de cet « édifice de réglementations » qui ne laisse debout que l’omnipotence du tsar, de la torpeur où a été tenu le peuple russe, enfin des embarras du pouvoir absolu au milieu d’un mouvement qui le déborde, qui l’étonne, qu’il ne peut détourner, et qu’il n’a pas trop su diriger jusqu’ici ? Est-ce que M. Jomini n’avoue pas que « nos appréciations sont souvent justes, » en ajoutant « qu’elles tachent d’être impartiales ? » Il est vrai que l’auteur, en confirmant par ses aveux ce que nous avons dit, nous accuse de n’être point néanmoins dans ce qu’il appelle « la vérité absolue, » de nous arrêter à la superficie des choses, de céder à une de ces méprises si fréquentes dans l’Occident à l’égard de l’empire des tsars. Est-ce donc parce que, au lieu de rester dans les banalités, nous nous sommes efforcés de pénétrer jusqu’au cœur de la situation de la Russie ? Nous n’avons pas tout dit sans doute, nous aurions pu entrer dans d’autres détails, et nous pourrons y revenir, si quelque jour cela est nécessaire ; mais jusque-là M. Jomini nous permettra de penser qu’on peut disserter longtemps, comme il le fait, sur les révolutions par en haut ou par en bas, sur les limites entre la liberté et la licence, sur la différence qu’il y a entre révolutionner et réformer, sans jeter un jour particulier sur la vraie situation de la Russie.

Une autre raison devait nous empêcher d’accueillir le travail de M. Jomini, c’est que l’auteur, sans jeter un jour nouveau sur la situation de la Russie, émet beaucoup d’idées, à notre avis très hasardées, sur la France, sur l’Europe, sur la valeur comparative des institutions politiques, toutes choses qui n’étaient point directement en question dans l’article du 15 janvier. Nous ne sommes même pas certains que M. Jomini n’ait cru nous causer quelque embarras en remettant sous nos yeux les péripéties de notre histoire, les mauvaises fortunes des institutions parlementaires, pour en tirer une conclusion favorable à l’autocratie, en renvoyant enfin nos idées à une vieille date. Il se trompe : notre libéralisme n’est point un Épiménide endormi dans une époque qui n’est plus. Il ne s’est point désintéressé des affaires du monde le jour de la révolution de février, et aujourd’hui encore il n’est ni une rancune ni une sédition. Il accepte le bien, les garanties de liberté, les progrès véritables toutes les fois qu’on les procurera à la France, sans cesser de croire que les meilleures conditions seront toujours celles où le pays aura la plus grande participation à ses affaires. Il ne se sépare jamais surtout du patriotisme, et si M. Jomini pense nous embarrasser en nous plaçant en face d’un éloge de l’empereur des Français, c’est qu’il ne se souvient pas ; il oublie qu’il nous est arrivé plus d’une fois, dans la mesure de notre indépendance, de nous tenir aux côtés du gouvernement de