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d’un mouvement historique, une personne à qui ils demandent compte des théories qu’ils lui attribuent et des actes qu’ils lui prêtent ? Parlez des idées au nom desquelles la révolution, c’est-à-dire la destruction des anciennes institutions et la fondation des nouvelles, a été accomplie ; parlez des résultats de la révolution, parlez des crimes qui ont été commis pendant la révolution, parlez de procédés dits révolutionnaires, par opposition aux procédés légaux ; mais d’un mot qui a tour à tour désigné une date ou une période de l’histoire, un mouvement politique, un certain ordre de principes, une certaine nature de résultats, un mode d’action, gardez-vous de faire arbitrairement une espèce d’entité philosophique, si vous voulez parler sérieusement, devant un auditoire d’hommes d’affaires, le sobre et mâle langage de la politique. La prosopopée de M. Keller sur la révolution nous a valu la pieuse invocation de M. Billault à la Providence. Pauvre et vénéré pontife ! faut-il qu’une assemblée politique qui croit avoir le droit de censurer tendrement ton obstination s’imagine, en tressaillant d’émotion religieuse, qu’elle est vis-à-vis de toi l’interprète des décrets de la Providence ?

Tandis que ces imposantes controverses agitaient le corps législatif, la grande expérience tentée par M. Fould sur l’ancien fonds 4 1/2 s’achevait avec un succès qui a sans doute dépassé les espérances du ministre des finances. 130 millions environ de rentes 4 1/2 étaient convertis en 3 pour 100, et pour opérer cet échange, les rentiers consentaient à payer au trésor la fameuse soulte, dont le produit s’élevait à 155 millions. C’est un fait remarquable, et qui annonce d’une façon significative la docilité de la France aux expériences financières. L’opération de M. Fould était très hardie : elle ébranlait un fonds qui représente un capital de 3 milliards 800 millions, elle touchait donc aux intérêts d’un grand nombre de fortunes particulières. Ce qu’elle avait surtout d’aventureux au premier aspect, c’est que la réussite dépendait d’un acte spontané des rentiers et de l’apport bénévole d’une certaine somme qu’ils voudraient bien faire d’eux-mêmes au trésor. La conversion facultative demandait d’eux un dérangement et un déboursé. On avait donc contre soi la mauvaise humeur ou la force d’inertie des rentiers. Ce n’est pas tout, le succès de l’opération dépendait de l’écart qui se maintiendrait entre les prix du 3 pour 100 et du 4 1/2 pendant la durée de la conversion. Il fallait que cet écart fût toujours assez considérable pour que le rentier y trouvât la représentation de la soulte et d’un petit bénéfice que lui offrait le trésor. Que cet équilibre eût été un moment troublé, et c’en était fait de la conversion. S’il est des tentatives dont le succès soit le principal mérite, on doit y ranger cette conversion si heureusement conduite par M. Fould. Nous avons dit dès le principe quelle était notre objection à ce système de conversion ; nous trouvions que les intérêts de l’avenir n’étaient pas pris en considération suffisante, et qu’on abandonnait pour un trop mince avantage actuel le bénéfice important que l’état devait