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combat. Il défend de tirer un coup de fusil avant son signal et jure de tuer de sa main le premier qui désobéira : précaution inutile, car tous les Arabes enrôlés volontairement ont en lui une aveugle confiance. C’est en vain que les Turcs, abordés par trois colonnes, tirent au hasard dans toutes les directions : personne ne leur répond. Enfin une décharge à bout portant les met en désordre ; on les pousse, on pille leur camp, et deux cents d’entre eux restent sur le terrain. Plusieurs des nôtres, il est vrai, partagèrent leur sort, et le cheikh nous montrait dans son épaule une récente et profonde blessure, souvenir de ce sanglant combat. Il oubliait d’ajouter, tant cela lui paraissait naturel, que le pacha de Damas, voyant revenir son lieutenant seul et battu, s’était hâté de confirmer Akiel-Aga dans les fonctions publiques auxquelles il était si difficile de le faire renoncer. Voilà comment le gouvernement turc fait respecter son autorité. »

Comme le jeune auteur qui a fait et écrit ce voyage est aussi habile à résumer judicieusement les faits qu’à les raconter d’une manière vive et piquante, voici comment il achève ce tableau de l’envahissement de la Syrie par les bandes arabes : « Par suite des besoins mêmes de la population et des rapports croissans avec l’Europe, l’agriculture se développerait en Syrie, en dépit de tous les obstacles, si le gouvernement lui assurait seulement quelque sécurité ; mais, je l’ai déjà dit, il est trop faible pour cela. La Syrie de fait ne lui appartient pas, et à peine a-t-il levé l’impôt, qu’Akiel-Aga ou l’émir Harfouche vient rançonner les villages, permettant au Bédouin vagabond et au brigand solitaire d’errer sur leurs traces dans la campagne pour piller le laboureur et ravager sa moisson. Celui-ci finit par ne plus semer ce qu’il sait ne devoir jamais récolter, et les plus riches plaines du monde, couvertes d’herbes sauvages, servent de pâturages aux chevaux d’un chef arabe. La vie sédentaire et laborieuse est devenue impossible. Les villages sont désertés, et la Syrie est envahie par des tribus nomades, ennemies de toute loi, dont la brutale domination est le dernier mot de la décadence de l’Orient. »

Ainsi ce ne sont plus les Turcs qui sont maîtres du pays, ce sont les chefs de bande, ce sont les Bédouins, qui partout avec eux portent la stérilité, la dépopulation, et qui font chaque jour avancer le désert. S’il pouvait y avoir parmi ces chefs de bande quelque Abd-el-Kader ou quelque Méhémet-Ali, c’est-à-dire quelque homme à la fois hardi et intelligent, qui d’aventurier se fît chef, de chef conquérant, de conquérant administrateur, et qui cherchât à organiser en principauté régulière le pays qu’il se contente aujourd’hui de piller et de ruiner, je ne cache pas que, persuadé comme je le suis qu’on ne peut tirer le salut de l’Orient que de l’Orient lui-même et des élémens de la société orientale, je me garderais