Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/489

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

turcs, les chrétiens aiment mieux payer la taxe. « S’ils formaient des régimens chrétiens, ce système serait pour eux plus avantageux que le paiement de la taxe d’exonération. » Le consul anglais des Dardanelles estime que les chrétiens aiment mieux payer la taxe que de servir dans l’armée ; mais il va plus loin : il dit que « la conscription est abhorrée par toutes les classes de musulmans, qui paieraient volontiers la taxe pour être dispensés du service militaire. »

Que conclure des divers témoignages que je viens de citer ? — L’idée de l’admissibilité des chrétiens d’Orient au service et aux grades militaires est partout répandue en Orient. Dans beaucoup de provinces, les chrétiens la demandent, mais ils demandent aussi à former des régimens à part. Dans quelques parties de l’empire ottoman, si les chrétiens répugnent au service militaire, c’est dans la crainte d’être enrégimentés avec les Turcs et maltraités par les officiers turcs. La Porte résiste tant qu’elle peut à cette admissibilité des chrétiens au service et aux grades militaires ; quelques consuls anglais croient que l’armement des chrétiens mettrait en péril l’empire ottoman. Cependant la Porte a promis, dans le traité de Paris, d’établir l’égalité militaire ; elle ne l’a pas fait, et elle a remplacé l’égalité du service militaire par une taxe d’exonération qui ne frappe que les chrétiens. Enfin le règlement du 9 juin 1861 a essayé d’établir dans le Liban un corps mixte de gendarmerie ; la Porte, qui l’a signé, est en train de l’abolir par l’inexécution.

Le motif qui pousse les chrétiens d’Orient et leurs partisans à réclamer si vivement pour eux le droit de porter les armes et de former des régimens séparés est facile à comprendre : ils veulent premièrement se défendre contre les Turcs, qui les égorgent. Qui pourrait trouver cette raison mauvaise après les massacres de Syrie ? Ils réclament en second lieu l’exercice d’un droit que leur reconnaît solennellement le traité de Paris de 1856, et dans le Liban surtout ils demandent l’exécution de l’article 15 du règlement du 9 juin 1861. Peut-on trouver extraordinaire qu’ils croient que les traités sont faits pour être exécutés, même ceux qui sont signés avec la Porte-Ottomane ? Mais j’ai une bien meilleure raison à donner : c’est la nécessité qui force les chrétiens d’Orient à réclamer le droit de porter les armes, la nécessité de se défendre contre les bandes d’Arabes pillards qui ravagent la Syrie particulièrement, et contre lesquelles la Porte-Ottomane ne les défend pas, soit impuissance, soit insouciance. Cette intervention des bandes arabes est un point important dans la question d’Orient. Je ne le trouve nulle part mieux traité que dans l’extrait d’un voyage fait au commencement de 1860 par deux jeunes princes français[1].

  1. Damas et le Liban (Extraits du journal d’un Voyage en Syrie au printemps de 1860).