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La dixième question posée par sir Henri Bulwer aux consuls anglais qu’il consultait sur la condition des chrétiens en Orient était ainsi conçue : « La population chrétienne aimerait-elle mieux entrer au service militaire que de payer la taxe qui l’en exempte ? Gagnerait-elle plus à servir dans l’armée qu’à payer l’impôt d’exonération ? » Je viens de relever dans l’enquête les réponses des consuls anglais sur cette question, et je veux les mettre sous les yeux des lecteurs, afin qu’on voie quelle est l’importance qui s’attache, en Orient, à ce droit de porter les armes et d’être admissible aux emplois militaires, — ce droit que l’Europe voulait que la Turquie accordât aux chrétiens, et que la Turquie leur refuse obstinément, au mépris des promesses qu’elle a faites dans le traité de Paris.

Le consul de Monastir en Macédoine répond que « les chrétiens aimeraient beaucoup mieux entrer dans l’armée que de payer la taxe d’exonération, pourvu qu’ils formassent des régimens séparés, et qu’ils eussent le même droit d’avancement que les musulmans. Dans ce cas, il leur serait très avantageux de servir dans l’armée[1]. » Le consul de Salonique, M. Charles Calvert, répond comme son collègue de Monastir : « Les chrétiens, dit-il, n’aimeraient pas à entrer au service militaire, si, une fois enrôlés dans l’armée du sultan, ils étaient forcés de quitter le pays où ils ont leur habitation ; mais s’ils étaient appelés à fournir leur contingent dans un corps de police bien organisé, servant dans leur province ou à peu de distance, ils aimeraient probablement mieux fournir ce contingent que de payer la taxe d’exonération, pourvu cependant que le corps de police auquel ils appartiendraient fût composé et commandé exclusivement par des chrétiens, et que les soldats et les officiers fussent régulièrement payés et nourris. Dans ces conditions, il leur serait bien plus avantageux d’entrer au service que de payer la taxe. — Je dois remarquer que les chrétiens, sur cette question, diffèrent entièrement des Juifs, qui ont si peu de goût pour la profession des armes, qu’ils aimeraient mieux payer dix fois la taxe que d’entrer dans l’armée. »

Je ne veux interrompre par aucune réflexion le relevé que je fais des réponses de l’enquête anglaise. Il m’est impossible cependant de ne pas remarquer, outre la conformité d’opinions entre M. Farley, qui n’est qu’un simple voyageur, et les deux consuls anglais de Monastir et de Salonique, il m’est impossible, dis-je, de ne pas remarquer que le corps de police armée ou de gendarmerie du Liban semble avoir été créé pour ainsi dire d’après le système de M. Calvert. C’est cette gendarmerie provinciale servant dans son pays, y maintenant l’ordre, que demandent les chrétiens de la Turquie

  1. Papers relating to the condition of christians in Turkey, p, 3.