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requérir l’assistance des troupes turques ? Pas le moins du monde. Un des chefs de la population maronite, et qui avait été nommé caïmacam provisoire des Maronites il y a près d’un an, Joseph Karam, a été arrêté ; mais cette arrestation ne s’est pas faite dans le Liban et à main armée : Karam est venu de son plein gré à Beyrouth pour s’entendre avec Fuad-Pacha. C’est là qu’il a été emprisonné, c’est de là qu’il a été transporté à Constantinople. Tout s’est fait sans violence, par ruse ou par intrigue ; tout s’est fait sans résistance. Il ne faut donc pas chercher la cause de l’envahissement du Liban dans les circonstances qui ont amené l’arrestation de Joseph Karam. Cet envahissement est un système, ce n’est pas un accident : c’est le développement d’une politique persévérante, ce n’est pas l’effet d’une nécessité passagère.

Je trouve dans une correspondance privée de Syrie des détails curieux sur cette arrestation de Karam, qui a fait du bruit en Europe et qui méritait d’en faire, parce qu’elle est un des signes de la. politique turque. Joseph Karam a fait des fautes ; seulement ce ne sont pas ses fautes qui ont amené sa captivité, à moins qu’on ne prenne pour une faute la confiance qu’il a eue en Fuad-Pacha, et qui l’a conduit à Beyrouth sans rien soupçonner. Ancien caïmacam provisoire des Maronites et l’un des chefs les plus aimés du Liban, Joseph Karam avait peut-être espéré être nommé gouverneur chrétien de la montagne. Malheureusement Karam n’était pas le candidat de la France. Le gouvernement français avait pris pour candidat l’émir Medjid, un des membres de la famille Cheab. La France ne fit pas réussir son candidat : elle n’eût pas été, je crois, plus heureuse avec Karam qu’avec Medjid. La Porte et les puissances européennes ne voulaient pas un indigène. Quoi qu’il en soit, Fuad-Pacha, voyant Karam abandonné par la France et sachant son influence réelle dans le Liban, se rapprocha de lui et alla le voir dans son village d’Éden, où Karam lui fit une réception triomphale, ce qui donna à Karam l’air d’un personnage rallié aux Turcs. Le nouveau gouverneur du Liban, Daoud-Pacha, qui voulait aussi s’attacher Karam, lui offrit le commandement supérieur de la milice indigène. Karam aurait dû accepter ; Fuad lui conseilla de refuser.

Que voulait Fuad-Pacha en conseillant ce refus à Karam ? Plusieurs choses à la fois : il voulait montrer que Karam n’acceptait pas la nouvelle organisation du Liban, puisqu’il refusait d’y prendre part. Cela en même temps détachait d’autant plus Karam de la France, dont le commissaire a pris à cœur le succès de la nouvelle constitution. Isolé de la France, Karam était plus faible et plus facile à détruire. Fuad trouvait dans le refus de Karam un autre avantage. Ce refus créait un embarras à Daoud-Pacha, dont Fuad n’a vu la nomination qu’avec répugnance, parce que Daoud est chrétien,